Hier matin, j'avais rendez-vous avec une journaliste du Monde, pour discuter de l'avenir de son journal. Avenir incertain, puisque un plan prévoit le départ de 130 salariés (journalistes ou pas). L'ambiance est pesante dans les bureaux (luxueux) du boulevard Auguste Blanqui.
Ce matin là, l'entrée du Monde est barrée par des palissades. Des travaux sur le boulevard. Deux laveurs de carreaux escaladent la façade du bâtiement.
L'ascenseur me conduit au 3eme étage. Martine Silbert m'accueille. Elle me conduit au 8eme, à la cafétéria. Cette journaliste "culture" anime le blog pressencolere.org.
Nous parlons de la crise du Monde, pendant une petite heure. Dans la cafet' immense qui donne sur une baie vitrée, les journalistes se regroupent par trois ou quatre. Martine Silber grille plusieurs cigarettes pendant l'entretien. Stressée par ce qui se passe en ce moment? Sans doute. Elle me raconte que des réunions se déroulent à un rythme soutenu entre l'intersyndicale et la direction. Forcément, ça crée un stress.
129 emplois menacés
Comme vous le savez, 129 employés (de tous les services) doivent quitter le navire. Un plan de redressement prévoit des économies substantielles.
Quand je lui demande si elle fait partie des 129 salariés menacés, Mme Silber me répond qu'elle n'en sait rien. En fait, personne ne le sait, mais, puisque ceretains secteurs sont ciblés et d'autre pas, on le devine un peu. Mais sur ce point précis, les discussions des derniers jours ont permis une légère avancée. L'intersyndicale a obtenu que ce ne soit plus des postes qui soient ciblés (tel poste doit disparaître), mais qu'il y it juste un objectif de diminuer la masse salariale.
Climat pesant
L'ambiance est pesante au Monde, m'explique Martine Silber. Tout d'abord, comme dans chaque journal, il est impossible d'écrire à propos des journaux. "Ce serait retripatouillé. Les articles sur les journaux sont forcément très brefs", suggère la journaliste. D'où l'intérêt du blog. Un blog sans signature, pour éviter les attaques ad hominem. Je n'ose pas sortir mon "matériel de blogueur" (enregistreur et appareil photo). La conversation sera déroulera plus simplement.
Mais ce climat de crise financière est pesant. Chaque semaine, on repousse l'échéance. Les journalistes ont obtenu que les départs ne commencent pas avant le mois de septembre. Pour les pages "culture", où travaille Martine Silber, les mois d'été sont très actifs. On voit mal licencier des journalistes pendant la période des festivals.
Comme dans toute entreprise, la solidarité n'est pas toujours de mise. "Certains journalistes s'en foutent. Pour eux la vie continue. Ils ne se sentent pas concernés par les licenciements. Ils sont arrivés plus récemement ou ils se sentent à l'abri.
le chiffon rouge Lagardère
Dans les discussions, certains agittent un chiffon rouge: le rachat possible du journal par le groupe Lagardère. Il est déjà actionnaire à 17% dans le groupe. Lemonde.fr est édité par la société Le Monde interactif, filiale du Monde et de Lagardère.
Donc, l'épouvantail Lagardère est souvent brandi à ceux qui s'opposent au plan de départ. Mais, suggère la journaliste, le rachat sera peut-être encore plus probable après le plan de départ et la remise à flot du journal. "Le Monde est le dernier quotidien indépendant. La société des rédacteurs garantit son indépendance".
moins de pages culture
La réduction du nombre de pages "culture", "livres" et "sport" figurent parmi les évolutions souhaitées par la direction. Eric Fottorino, actuel directeur du journal, est écrivain, pour ceux qui ne l'auraient pas compris.
En entrant dans le bâtiment de verre, j'ai entendu deux employés du Monde, chargés de l'accueil qui parlaient d'un certain Sarkozy, le frère de l'autre. "Il est très sympa", disait l'un d'eux.
Quand un blogueur interviewe une journaliste du Monde, on peut se demander si le modèle économique de la presse n'est pas en train de vaciller...
Pourquoi j'ai investi de mon temps dans cette discussion? Par curiosité, parce que l'avenir des journaux me concerne, nous concerne tous. Parce qu'un Monde sans culture c'est attristant.
En sortant, Martine Silber m'a conseillé: "Faites attention, c'est en travaux à l'entrée". A l'intérieur aussi.