Sous prétexte de "journalisme gratuit", Direct soir propose des pages de communication favorable au gouvernement. Vincent Bolloré, l'industriel, propriétaire du journal, l'estime non rentable. Il a néanmoins passé accord avec la RATP pour que Direct Soir et Matin plus soient les seuls gratuits disponibles dans le métro parisien. Pour mieux accroître son influence auprès de son ami Nicolas Sarkozy? Vous avez sûrement déjà feuilleté un numéro de Direct Soir. Ce journal gratuit est diffusé dans une quinzaine de villes françaises. Il offre un bel exemple de glissement du journalisme vers la communication.
Journalisme et communication ont tous deux leur raison d'être. Mais ils ne poursuivent pas le même but. Alors que le journalisme vise à dire la vérité, la communication cherche à produire un message destiné à convaincre. Dans le domaine de politique, la communication revêt une importance considérable.
Politique et divertissement
Ce n'est donc pas un hasard si Direct Soir fait régulièrement ses Une sur des sujets politiques. Et si ces sujets mettent en vedette lechef de l'Etat et les ministres,
comme le souligne Maxime avec pertinence.
La trame de ce journal gratuit est simple au possible. Les premières pages sont consacrée à l'éloge de la politique gouvernementale. Le reste est dévolu à la mode, à la culture et au sport. Cette dichotomie ne va pas de soi. On peut notamment se demander: pourquoi une telle place accordée à la politique si Direct Soir se veut être un journal culturel ou divertissant, bref un gratuit consensuel?
Epouser le discours de l'Elysée
Ainsi, dans le numéro du jeudi 5 juin, avec Nicolas Sarkozy en Une (téléchargeable ici) on lit en page 2 que Jean-Louis Borloo va faire de la France un leader européen en matière de développement durable. On découvre en page 4 un article tout à la gloire de Nicolas Sarkozy: "L'Elysée à l'heure européenne". Les surtitres prouvent bien qu'on a affaire à un texte de communication et non à du journalisme: "Axe de la présidence", "convaincre", "les défis". L'auteur de l'article épouse parfaitement les objectifs, les arguments et les "défis" du chef de l'Etat. Il n'y a pas ce recul, cet esprit critique qui définissent le journalisme.
La "Une" réalisé avec Photoshop
Un des must de Direct soir, c'est la photo de Une. Choisie avec soin, elle est quasiment réalisée en partenariat avec Photoshop. Sur le visage de Nicolas Sarkozy, nulle aspérité, une lumière parfaite. Le réalisme soviétique ne faisait pas mieux.
Direct Soir est-il rentable? Il semble que non, selon cet écho de Renaud Revel, où l'industriel confie qu'il n'y a pas de "modèle économique" pour la presse gratuite.
Le gratuit pas rentable
Il estimait, dans La Croix: "La presse gratuite est adaptée à une certaine demande : majoritairement celle des jeunes pour qui l’information est un produit gratuit. Ils sont nés dans un monde où l’information, à travers la télévision, la radio, Internet, est gratuite. Pour autant, il restera toujours un public prêt à dépenser de l’argent pour s’informer. " Le point de vue de Rupert Murdoch est similaire.
Bolloré a le monopole du Métro
Vincent Bolloré aurait investit entre 500 000 et un millions d'euros pour un accord avec la RATP, lui permettant de distribuer en exclusivité ses journaux gratuits dans le métro parisien. (selon Marianne)
C'est fin 2007 que Bolloré a remporté l'appel d'offre de la Ratp, lui permettant de distribuer ses gratuits dans 176 stations sur 300 au total. Un marché qu'il ne pouvait pas perdre : «Le principal critère pour emporter ce marché c'était l'argent, la qualité du matériel, des présentoirs. Certes, le contenu des titres entrait en ligne de compte, mais de façon marginale. Et Bolloré a mis beaucoup d'argent sur la table pour l'emporter » explique Michael Bitan, le directeur général du journal gratuit Metro.
Fabriquer du consentement
L'analyse de Maxime (Cabinet) est intéressante, lorsqu'il distingue la rhétorique du Figaro et celle de Direct Soir, même si je ne partage pas entièrement son analyse "gauchiste", notamment concernant le Figaro, dont les pages débat sont tout de même assez pluralistes:
"Fabriquer le consentement, naturaliser la parole gouvernementale, présenter chaque action et chaque réforme comme uniquement et purement positive, positive dans le temps, comme mouvement du monde, comme battement du monde, comme pulsation du temps contemporain ; portée par des gens honnêtes et dynamiques, dont l’agenda est chargé. L’actualité est et ne peut être qu’un temps gouvernemental, segmenté uniquement par l’action du ministre de tutelle du domaine concerné.
Ce n’est pas du tout la même chose que le Figaro, Direct Soir. Direct Soir n’a pas de morale, si l’on veut, pas de déontologie journalistique, aucune dignité ; c’est le cynisme poussé jusqu’au dégueulasse. Parce que le Figaro, ce sont les éditoriaux ultra-droitiers, la haine sociale vis-à-vis de l’autre, de l’étranger, de toutes les différences d’avec l’Homme blanc bourgeois catholique hétérosexuel, etc ; la manipulation des titres et des sondages pour soutenir le gouvernement, certes. Mais cette action commando droitière ressemble bien peu au travail de neutralisation et de naturalisation, d’aplatissement et d’aplanissement de Direct Soir".
Direct soir est diffusé à 500 000 exemplaire, depuis le 6 juin 2006.
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