Il faut sauver Libé ! Sur le principe, tout le monde est d'accord ou presque. Mais comment faire? Chacun distille ses conseils. Il y a des tapes dans le dos… et des coups de poignards. Certaines voix portent plus que d’autres. Celle de Daniel Schneidermann* n'est pas négligeable. Il s’est adressé à Edouard de Rothschild, actionnaire principal du journal. Dans une lettre ouverte publiée sur son blog, il rappelle que Libé doit apporter un plus à ses lecteurs et que « cette pluvalue porte un nom générique : ça s’appelle des enquêtes » et « tout le reste, toute l’écume de l’actualité à laquelle le système consacre ses manchettes à longueur d’année, on en rendra compte en brèves, ça suffit bien. »
Etant totalement d’accord avec lui, je l’ai fait savoir. J’ai posté un message sur son BigBangBlog. Il a répondu : « Réjouissante, Eric, votre brève sur Clearstream. C’est exactement ce que je veux dire. Je rêve de lire le journal qui aura le courage de faire ça. »
Voici le texte que j’ai posté sur le BigBangBlog :
Faire des enquêtes... Le mot est lâché! Albert Londres... Bagne de Cayenne... L’aventure, quoi !
Le lecteur potentiel de Libé (oui, aujourd'hui nous ne sommes plus que des lecteurs potentiels de Libé. Car qui sont ses 50 ou 70 000 lecteurs réguliers? Des égarés qui ne savent pas comment résilier leur abonnement ou des fanatiques qui croient encore que July descend chaque jour en pantoufles dans les salles de rédactions pour dicter le titre de Une aux jeunes journalistes ébahis?) est alléché par le programme. De l'info exclusive, arrachée aux griffes de ceux qui veulent nous la cacher, ces méchants antidémocrates!
Le lecteur potentiel d'un Libé payant se dit "pourquoi pas, Daniel!" et "ose donc, Edouard!"
De l'enquête, bien touffue, pas de ces pages "Grand angle" ou "Décryptage" comme les nomment je ne sais quel journaux de référence. De l'enquête, oui, avec du sang et des larmes, comme dans "Time" mais en Français. Ca doit bien être possible. Et commercialement viable (ça, c'est un clin d'oeil à Monsieur Edouard, parce que, tout de même, c'est lui qui sera en slip si ça ne marche pas)...
Et tout le reste, des brèves. OK! Le lecteur potentiel (et bienveillant) acquiesce.
"Hier, à l'Assemblée, le premier Ministre a fustigé la lâcheté (oui, vous avez bien lu: la lâcheté) d'un membre de l'opposition au cours d'une altercation qui a conduit une trentaine de députés à quitter leur siège pour crier hou, hou !".
Voilà, par exemple, ce qu'on pourrait dire de l'échange de vue entre Villepin et Hollande.
"Un membre éminent du gouvernement a décidé de faire appel à la justice pour trancher un différend qui l'oppose à un ancien ministre, lequel aurait fait enquêter sur son compte à propos d'une affaire de listing sur lequel son nom est apparu, le tout étant lié à une société basée pas loin de la Belgique et dont les activités se résument, si l'on se fie aux dires d'un romancier-journaliste qui a beaucoup peiné sur le sujet, à du lessivage de billets à très grande échelle."
Et voilà, vous l'aurez reconnue, l'affaire Clearstream en bref. Vous avouerez que c'est mieux que les dizaines de pages noircies par vos confrères. Et noircies en vain puisque, selon une personne proche de Monsieur Colombani, Le Monde n'y aurait gagné aucun lecteur...
L’enquête ! Z’avez vu juste, Daniel !
En revanche, je suis en désaccord avec vous sur un point. Lorsque vous parlez de faire de Libé un journal anti Coupe du Monde Fifa (car on ne parle plus de la Coupe du Monde de football; il n'est plus question de football, mais de FIFA : on est passé dans une autre dimension, celle de la FIFA, de la presse gratuite, d'Internet et de bien d'autres choses encore), là, vous vous fourvoyez! Pendant la Coupe du Monde, tout le reste s'efface...
La Coupe du Monde est un emballement médiatique à elle toute seule. La preuve, la semaine dernière, à Compiègne, un type a tiré sept fois au fusil sur des cibles humaines, ce qui avait tout l'air d'un attentat raciste, et personne n'a bronché: ça a fait trois lignes dans les journaux, comme on dit. Seule Audrey Pulvar en a parlé dans son 19-20...
Enfin, vous proposez à Monsieur Rotschild d'ouvrir son blog. Ah! (Soupir blasé chez le lecteur potentiel de Libé, qui l'est de moins en moins...) Vous pensez qu'il n'a pas mieux à faire qu'à s'épancher _ gratuitement de surcroît _ au lieu de préparer la stratégie de redressement de Libé?
*Daniel Schneidermann est notamment Producteur et animateur d’Arrêt sur images (France 5), Journaliste à Libération et bloggeur influent.