La thèse du livre est simple. La dépendance aux informations et à l’actualité peut être comparée à l’hypocondrie. Mais tandis que l’hypocondriaque s’imagine être malade et s’observe en permanence, le drogué d’info scrute le monde qu’il juge malade, mauvais et menaçant. Pour lui, chaque événement annonce une catastrophe. Les dangers sont partout : grippe aviaire, terrorisme, crimes, accidents… Tout doit être surveillé. D’où l’importance, croit-il, d’être bien informé.
Le livre du Professeur Desjoyeux est découpé en trois parties. Dans la première, est analysé ce qu’est la névrose de l’information, autrement dit la dépendance. La deuxième partie remonte aux causes de cette névrose. La troisième tente de suggérer des solutions.
Dans la première partie du livre, le Professeur dresse un diagnostic. Voici le portrait-robot du drogué d’info :
- Le dépendant éprouve une envie irrésistible de consommer sa drogue préférée
- Il consomme à heure fixe la drogue dont il est accro
- Il consacre un temps important à l’objet de son addiction
- Il abandonne ses amis, ses loisirs et même sa famille pour se consacrer à son addiction
- Il augmente ses doses pour retrouver les premiers effets
- Il éprouve une sensation désagréable de manque ou de sevrage quand il est privé de sa drogue
Par ailleurs, contrairement à l’alcoolisme ou à la toxicomanie, la névrose médiatique, se présente comme une dépendance « sage, sérieuse ». Il n’y a pas de raison d’en avoir honte. On peut même en être fier. En effet, il n’est jamais mauvais d’être bien informé. Cela permet notamment de briller dans les dîners en ville. Mais, dans les cas pathologiques, cela occasionne beaucoup de souffrance, comme toutes les addictions.
Les causes
Une des causes principales de la névrose de l’information est à chercher du côté des producteurs et diffuseurs d’informations. Les professionnels des médias ont tout intérêt à nous rendre accro. C’est une condition de leur succès. Ils font tout pour rendre leur produit attractif. Titres accrocheurs, photos chocs, feuilletonnage des informations font monter le désir du lecteur et grimper les ventes.
Une des lois du journalisme est que les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne. Mais à ne parler que de catastrophe on fortifie le pessimisme. Ainsi les médias ont une furieuse tendance à titiller nos peurs. La bourse baisse ? On conjecture un krach. Attentat au Pakistan ? Et s’ils frappaient en plein Paris ? Grippe aviaire ? Confinez-moi ces poulets ! Pendant ce temps, le lecteur addictif se ronge les ongles…
La névrose médiatique a aussi ses causes au plus profond de l’individu. Le drogué d’info est un narcissique. Passer pour quelqu’un d’informé est une façon de se valoriser. Le narcissique veut imposer ses opinions sur l’actualité, quitte à refuser d’admettre celle des autres.
Le drogué d’info est aussi quelqu’un qui cherche à tout maîtriser. Il veut réduire les risques. Certains se spécialisent dans l’information médicale. D’autres sont friands d’actualité boursière. Pour tous, l’information agit comme un bouclier. Cette tendance peut s’apparenter aux obsessions, compulsions et autres troubles obsessionnels compulsifs.
Comment s’en sortir
Le Professeur Desjoyeux esquisse quelques pistes pour sortir de l’addiction aux news. Ce sont des conseils de bon sens.
A ceux qui voient le monde en noir, il suggère de repérer les erreurs de jugements qui les conduisent à généraliser hâtivement. La France décline ? Creusez-vous la tête : il y a bien quelques domaines où elle progresse. Le terrorisme se mondialise ? Raisonnez : jusqu’à présent Pornic et Vesoul ont été épargnés. Le climat se réchauffe ? Réfléchissez : il est temps de mettre quelques bières au frais. Quand on cherche des raisons d’être optimiste, on en trouve !
L’auteur donne des conseils pratiques : se priver quelques jours (voire quelques heures, pour les plus atteints) de télévision ou d’Internet, ne plus acheter le journal ; faire de l’exercice ; découvrir de nouvelles activités. Pour les cas les plus graves, une thérapie est recommandée.
Enfin, il est à noter que la maladie peut prendre des formes opposées. Ainsi, quelqu’un qui refuse totalement de s’informer est également concerné par la névrose médiatique.
J’ai particulièrement apprécié la conclusion de l’ouvrage. Le Professeur Desjoyeux y fait référence à Albert Camus : « Nous avons besoin de sortir de la position de spectateur pétrifié. Qui mieux qu’Albert Camus illustre cette exigence de révolte et de résistance ? Chacun de ses écrits la justifie. Ses éditoriaux dans Combat, le journal de la Résistance, sont des leçons de liberté. Ils s’adressent aux Français des années 1944-1945 nourris de force aux messages de la presse collaborationniste. Albert Camus annonce une vérité en apparence impossible. Il explique comment les armées d’occupation qui possèdent tous les leviers de pouvoir vont bientôt être anéanties. Il pose pour cela une condition. Les citoyens doivent se réveiller. Les consommateurs de propagande doivent redevenir des lecteurs critiques. Le chemin de la libération du pays passe par la libération des consciences et du sens critique. Camus oppose à la propagande pessimiste l’optimisme de ses convictions. […] Vous ne pouvez pas, expliquait-il à ses lecteurs anéantis par la presse pétainiste, dire que l’actualité ne vous concerne pas. Vous ne pouvez pas non plus céder au pessimisme.[…] Albert Camus nous incite à choisir avec soin les journalistes qui nous ravitaillent en images et en opinions. Un journaliste est d’abord quelqu’un qui est censé avoir des idées. Les journalistes sans idée veulent informer vite avant d’informer bien. Les informations en apparence neutres ne le sont pas complètement. Elles obéissent à l’idéologie du conformisme et du scoop. Albert Camus taille en pièce le mythe de l’information objective, en temps réel, limité aux faits essentiels. Il nous rappelle une évidence qui mérite d’être répétée : aucune information n’est indiscutable, et l’actualité brute n’existe pas. L’information consommée de manière adulte, sans dépendance, ne peut se passer d’un commentaire engagé. »
En savoir plus: Un autre livre, La Mal info (terme calqué sur le mot "malbouffe"), est une enquête sur les consommateurs de médias.
Commentaires
Merci pour votre article passionnant.
J'ai reconnu certains proches dans votre description du névrosé médiatique. J'ai remarqué que tout en étant accros aux journaux télévisés et informations en tout genre, ils ne consomment que de façon superficielle et finalement effleurent tout sans s'y intéresser vraiment. Ils commentent l'actualité en paraphrasant les médias comme si c'était une vérité absolue. Je suis donc particulièrement d'accord avec Camus sur le danger de perdre tout esprit critique.
J'ai apprécié aussi la phrase "les trains qui arrivent à l'heure n'intéressent jamais personne". Cela ne concerne pas que le journalisme, j'ai l'impression que c'est un travers humain, on a tendance à les choses négatives plutôt que les positives d'où la morosité ambiante qui sévit dans les médias. J'avais fait un article là-dessus il y a quelque temps, "du bonheur au 20 heures". Heureusement, on peut aussi trouver de bnonnes nouvelles sur le Net :
www.linternaute.com et sur www.agoravox.com
Bonne continuation :)
Michoko,
Je crois que vous mettez le doigt sur quelque chose d'important: la superficialité. Etre bombardé d'infos en permanence n'est pas une bonne chose, mais rester en surface est pire encore. On n'atteint à aucune compréhension véritable des événements. Et, surtout, on ne comprend pas "l'événement de l'événement" c'est-à-dire comment s'est fabriquée l'information et pourquoi quelqu'un a intérêt à sortir cette information.
En revanche, je ne partage guère votre goût pour les "bonnes nouvelles". Et, d'ailleurs, qu'est-ce que c'est, au juste, une "bonne" nouvelle?
A l'heure de la surinformation il importe d'en dénoncer les dangers. Du moment qu'on ne sombre pas dans le "Dormez tranquille". C'est un exercice d'équilibriste délicat, le livre de Lejoyeux doit être intéressant.
En effet, comme "entendre" ne veut pas dire "écouter", recevoir l'information ne veut pas dire qu'on la comprenne.
Pour exemple, les conflits dans le monde qui sont la conséquence de situations géopolitiques que la plupart des gens ignorent.
Or, comment comprendre un conflit et exercer son esprit critique, si on n'en connaît pas l'origine ? Le seul commentaire que j'entend dans ces cas-là, c'est "tiens, tel et tel pays se tapent encore sur la gueule ... décidément, c'est culturel"
Pour ce qui est des bonnes nouvelles, je ne crois pas avoir dit que je les préfèrais aux mauvaises.
J'ai juste dit que certains médias s'en faisaient l'écho aussi.
Vous me posez la question : qu'est-ce qu'une bonne nouvelle ?
Bonne nouvelle pour qui, en effet, puisque le bonheur des uns fait souvent le malheur des autres (ou l'inverse) ?
Je prend l'exemple, si vous le permettez, mon expérience personnelle.
Une grande compagnie aérienne dont j'étais salariée en 1996 décide, pour augmenter ses bénéfices, de fermer tous ses bureaux en Europe et de s'implanter en Irlande. Elle fut suivie de beaucoup d'autres et contribua à l'ouverture de nombreux centres d'appels en Irlande (Microsoft, Compaq, Dell, HP etc.) et à une croissance phénoménale du "tigre celtique".
Le licenciement de mes collègues français, anglais, allemands etc. fit le bonheur des chômeurs irlandais. Le plus drôle dans tout ça, si je puis dire, c'est que les Irlandais ne manquèrent pas, devant la vague d'immigation Européenne qui suivit, de nous reprocher de venir leur piquer leur boulot.
Akira,
Bien sûr le "dormez tranquille" ou le refus de s'informer est aussi néfaste que la surinformation. J'y fais allusion. Mais on pourrait développer ce point.
On peut se priver de télé, de journaux, mais rapidement c'est le monde qui entre dans votre chambre, comme dit Kafka.
C'est drôle comme je reconnais beaucoup de gens (moi comprise...) dans ces drogués d'info.
Je me console en me disant que je ne suis pas complètement accro (je n'ai pas trop de phénomène de manque... Voire je me sentirais presque mieux sans! :) )
J'approuve aussi sur la superficialité. C'est étrange comme je suis devenue incapable d'étudier les sujets à fond dès que je me suis sentie obligée d'avoir une culture "générale". A vouloir tout écouter et tout voir, ma capacité de concentration semblait annihilée...
Le meilleur moyen de comprendre l'info, c'est d'en être acteur... Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais chaque fois que quelqu'un est un peu calé sur un sujet, ou est concerné par la situation dont parlent les actus, il trouvera que le rendu journalistique du 20h est faux, voire orienté. Qu'il s'agisse de vanter les bio-carburants sans jamais remettre en cause l'usage abusif de la voiture (ça fait partie des bonnes nouvelles destinées à endormir les téléspectateurs...), de déformer les propos d'un politique en congrès, ou d'annoncer avant l'heure une fusion encore incertaine, les personnes initiées trouvent toujours à rectifier sur leur sujet de prédilection. On peut alors fustiger le snob qui ne peut s'empêcher de se faire mousser en couvrant la douce voix de PPD, ou on peut commencer à se demander si autant d'"inexactitudes" sont proférées sur tous les sujets traités. Et là, reste à savoir si on veut vraiment continuer à écouter France Info en boucle ou si on décide de continuer de s'investir dans ce qui nous concerne, pour faire passer l'information qui nous paraît la plus juste...
A quand un livre sur les drogués du net, qui volettent de blogs en blogs sans jamais chercher à connaître leurs auteur ou aux drogués de l'e-mail "drôle" a forwarder à tout prix..? :-P
Il n'évolue pas de peur que trop de gens le regardent évoluer... :P
Plus j'ai de lecteurs moins j'ose écrire... je ne peux définitivement pas me faire appeler "l'intello" tout court :)
Plus on connait un sujet (pour avoir travaillé dans le domaine par exemple), plus on est capable de détecter les bourdes écrites par des journalistes sur le sujet, ou le biais donné - consciemment ou pas - à la présentation des faits (objectivité = foutaise).
Par exemple, c'est ne rien expliquer ni comprendre au sujet que de venir se lamenter des ventes à la découpe sans faire allusion à la loi passée par un groupe de parlementaire UMP et permettant d'encaisser des plus-values avec une imposition limitée.
On doit donc aussi se poser des questions sur le traitement journalistique des sujets qu'on ne connait pas à fond.
Une des solutions est de ne pas se contenter des gens qui pensent comme soi mais de lire des journaux de toutes tendances.
Cela demande du temps que beaucoup n'ont pas.
Il faut s'éduquer soi-même et éduquer les jeunes à utiliser leur cerveau, à avoir un esprit critique.
Les journalistes devraient toujours mettre leurs infos en perspective, historique, économique ou sociale. Mais pour ça il faudrait que leur hiérarchie le permettre. La dictature de l'émotion et de l'audimat n'y aide pas. Les enjeux politiques et économiques non plus.
Mais nous avons un cerveau, utilisons-le !
Zgur
Zgur,
"Une des solutions est de ne pas se contenter des gens qui pensent comme soi mais de lire des journaux de toutes tendances."
Oui, c'est une bonne chose. Mais un journaliste me disait: "Prends un article de Libé et un du Figaro sur un même sujet. Supprime les titre, chapeau et intertitres. Et tu verras que les deux articles se ressemblent beaucoup."
Je ne sais pas s'il a entièrement raison, mais souvent c'est ça. Si on prend l'exemple de l'affaire Clearstream, je pense qu'il a raison: sur ce sujet, tous les médias ont tiré dans le même sens. Il n'y a quasiment que Marianne qui tranche vraiment, mais c'est sa marque de fabrique.
"Les journalistes devraient toujours mettre leurs infos en perspective, historique, économique ou sociale".
Cela demande une culture très large. Ceux qui la possèdent sont passionnants. Des gens comme Pierre Assouline (voir son blog), Joseph Mace Scaron (Marianne) ou Alain-Gérard Slama (Le Figaro, France Culture) sont remarquables. Mais il y en a beaucoup d'autres!
A l'intello du dessous-dessus,
C'est vrai, lorsqu'on est directement concerné par l'info, on est beaucoup plus critique. On peut s'intéresser à tout mais comprendre réellement une problématique prend beaucoup plus de temps. Alors je pense qu'il ne faut pas chercher à avoir une culture générale mais rester éveillé, tout simplement.
A Zgur,
Il est primordial d'exercer son esprit critique et cela doit commencer dès le plus jeune âge. A ce propos, je regrette que mes années de lycée aient consisté à écouter un prof et prendre des notes. Je suis sûre que s'ils avaient sollicité notre avis sur l'actualité et organisé quelques débats, j'aurais fait un autre parcours.
A Eric,
Je regrette souvent que le traitement de l'information soit, à peu de choses près, le même partout. A coups de sondages et enquêtes, j'ai l'impression qu'on veut nous convaincre de rejoindre le troupeau.
Je me souviens des dernières élections présidentielles où tout prédisait un duel Jospin-Chirac ... on a vu ce que ça a donné.
Aujourd'hui on nous bassine avec Ségolène Royal dont on ne parlait pas il y a encore un an. Un duel Sarko-Ségo se profile donc à l'horizon ... à moins que ?
Même chose pour la crise de la grippe aviaire en une des journaux qui a causé la ruine de nombreux exploitants.
Information ou manipulation ? Je ne me pose plus la question.
Michoko,
Vous vous interrogez sur la médiatisation de Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Le duel annoncé. D'accord avec vous, c'est un vrai matraquage.
La différence avec 2002, c'est qu'à l'époque ça avait commencé à 3 ou 4 mois de la campagne. Là, c'est un an avant. Donc, c'est pire.
Le mieux, pour le citoyen averti, c'est d'attendre qu'un vrai débat commence. S'il advient.
Où va l'intérêt des lecteurs? Souvent vers des sujets comme la psychologie, comme je le note sur votre blog, le voyage, la science, l'écologie. Se cultiver et s'engager pour des causes proches de soi, c'est une vraie façon de faire de la politique.
@ eric
-"Cela demande une culture très large. Ceux qui la possèdent sont passionnants."
Hélas ce ne sont pas les plus nombreux.
Mais comme je le disais, cela demande du temps et l'envie de la cultiver.
François Ruffin racontait dans "Les Petits Soldats du journalisme" qu'il n'y avait même plus de bibliothèque au CFJ.
CQFD
- Quand je disais des journaux de tendances différentes, je ne parlait pas de centre droit et centre gauche ;0)
- Eduquons nos enfants et nos proches au doute, à la reflexion et à l'esprit critique. Eh, ducon ! Oui, c'est moi ;0))))
Zgur
Zgur,
Journaux de toutes tendances. Tu as raison! Il faut élargir le spectre.
Contrairement aux idées reçues, les médias racontent aussi des histoires de réussites, de succès, de trains qui arrivent à l'heure. Il n'y a pas que France Info, il y a France Culture ou radio France Internationale, gardons nous d'une vision trop schématique.
Ecouter en boucle les mêmes titres (une dizaine) d'une chaîne à l'autre, d'une radio à l'autre, plusieurs fois par jour, n'a rien à voir avec l'information, c'est un ronron réducteur, qui voit la France en vacances, quand seulement une partie des Français en prend, et oublie que le reste du monde n'est pas en vacances.
Gilles,
Tout d'abord merci de votre visite! Votre phare nous éclaire, bravo!
D'accord avec vous! L'expérience qui consiste à s'informer est saine en elle-même. Elle est synonyme de plaisir. Elle contribue au savoir.
Ce n'est que dans des cas où elle est consommée à l'excès qu'elle devient une drogue.
Il fallait le rappeler et vous l'avez bien fait!
Peu de choses vont de soi (ce qu'on croit naturel porte souvent l'empreinte de l'idéologie, Roland Barthes par exemple l'a bien dit dans Mythologies). Le goût pour l'information ne va pas de soi. Il est bon de toujours l'interroger.
"Pas de peur que trop de gens envisager un changement ...: P
Plus je roule moins osé écrire ... Je ne peut certainement pas me faire appeler le "nerd" pour faire court:)" Très bien dit, je vais me souviens de cette ligne!