"Tu arrives à nous parler de Tao depuis plusieurs jours, sans avoir encore réussi à nous dire ce que c'est ! Bravo ;) Et là je pensais avoir ma réponse, mais c'est toujours aussi obscur !"
Voilà ce que dit Valeuf en commentaire du billet précédent.
Pour lui répondre, je pourrais le renvoyer à ce que j'écrivais dans le premier billet: "Ne comptez pas sur moi pour vous expliquer ce qu'est le tao. [...] Lisez plutôt les auteurs taoïstes."
Mais ce serait trop simple.
Valeuf fait part d'une déception.
Philosophie et déception sont souvent liées. Parce que l'on asimile souvent philosophie et science. Et qu'on voudrait que la philosophie donne des réponses, des résultats, comme la science. Or, ce n'est pas toujours le cas. Sinon, la philosophie n'aurait aucune raison d'être. Elle serait juste une branche de la science.
La déception en philosophie est courante. On peut en trouver des dizaines d'exemples. J'en donnerai seulement quatre (ne soyez pas déçu):
1. Platon est un exemple canonique. Beaucoup de ses dialogues se terminent par une aporie, c'est-à-dire une contradiction insoluble. Le lecteur attendait une réponse. Platon le laisse en plan. Le problème n'est pas résolu. Mais était-ce le but recherché?
2. Montaigne est décevant à sa façon. Dans les Essais, le sujet d'un texte n'a pas toujours de rapport avec le titre. En ce sens, le lecteur est déçu.
3. Wittgenstein prend le problème dans l'autre sens. La philosphoie est décevante car elle n'apporte pas de réponse scientifique, mais une méthode philosophique se bornant à apporter des réponses scientifiques nous décevrait, car l'interlocuteur "n'aurait pas le sentiment que nous lui enseignons de la philosophie".
"Ne rien dire que ce qui peut être dit; donc, ce qui concerne la science de la nature; donc ce qui n'a rien à faire avec la philosophie; et chaque fois que quelqu'un voudrait formuler un énoncé métaphysique, lui montrer que dans ses propositions, il n'a donné aucune signification à certains signes.
Cette méthode serait insatisfaisante pour l'interlocuteur (il n'aurait pas le sentiment que nous lui enseignons de la philosophie), mais ce serait la seule correcte." (Les Carnets de 1914-1916 _ 2 décembre 1916)
4. Les textes toïstes fourmillent de passages "décevants", où un des personnages a le sentiment qu'on ne répond pas à ses questions.
Juste un exemple, issu du chapitre 7 du Tchouang Tseu:
"Tien-kenn errant au sud du mont Yinn vers la rivière Leao, rencontra Ou-ming jean et lui demanda à brûle-pourpoint :
— Comment faire pour gouverner l’empire ?
Ou-ming jean lui dit :
— Tu es un malappris, de poser pareille question d’une pareille manière. D’ailleurs pourquoi me soucierais-je du gouvernement de l’empire, moi qui, dégoûté du monde, vis dans la contemplation du Principe, me promène dans l’espace comme les oiseaux, et m’élève jusqu’au vide par-delà l’espace.
T’ien-kenn insista. Alors Ou-ming jenn lui dit :
— Reste dans la simplicité, tiens toi dans le vague, laisse aller toutes choses, ne désire rien pour toi, et l’empire sera bien gouverné, car tout suivra son cours naturel."
Articles liés:
- Le Sourire du Tao (1): quelques lectures
- Le Sourire du Tao (2): pourquoi George W. Bush n'est pas un sage taoïste
- Le Sourire du Tao (3): la définition de Durrel
- Le Sourire du Tao (4): philosophie de la déception
- Le Sourire du Tao (5): un régime frugal
- Le Sourire du Tao (6): le vieil arbre
- Le Sourire du Tao (7): wu wei
- Le Sourire du Tao (8): n'oubliez pas de respirer
- Le Sourire du Tao (9): pour ne pas conclure