Je reviens à la série sur Le Sourire du Tao. Aujourd'hui, un extrait du Tchouang Tseu (chapitre 20). Je l'appelle l'histoire du vieil arbre, oubliant la fin de l'histoire. Rien à dire sinon que je l'aime beaucoup.
Comme Tchouang Tseu traversait les montagnes, il vit un grand arbre, aux branches longues et luxuriantes. Un bûcheron, qui coupait du bois près de là, ne touchait pas à cet arbre.
— Pourquoi cela ? demanda Tchouang Tseu.
— Parce que son bois n’est propre à rien, dit le bûcheron.
Le fait de n’être propre à rien vaudra donc à cet arbre de vivre jusqu’à sa mort naturelle, conclut Tchouang Tseu.
Après avoir franchi les montagnes, Tchouang Tseu reçut l’hospitalité dans une famille amie. Content de le revoir, le maître de la maison dit à son domestique de tuer un canard et de le faire cuire.
— Lequel de nos deux canards tuerai-je ? demanda le domestique ; celui qui sait caqueter, ou celui qui est muet ?
— Le muet, dit le maître.
Le lendemain le disciple qui accompagnait Tchouang Tseu lui dit :
— Hier, cet arbre a été épargné, parce qu’il n’était bon à rien ; ce canard a été égorgé, parce qu’il ne savait pas caqueter ; alors, d’être capable ou d’être incapable, qu’est-ce qui sauve ?
— Cela dépend des cas, dit Tchouang Tseu, en riant. Une seule chose sauve dans tous les cas ; c’est de s’être élevé à la connaissance du Principe et de son action, et partant de se tenir dans l’indifférence et dans l’abstraction. L’homme qui en est là fait aussi peu de cas de l’éloge que du blâme. Il sait s’élever comme le dragon, et s’aplatir comme le serpent, se pliant aux circonstances, ne s’obstinant dans aucun parti pris. Que sa position soit élevée ou humble, il s’adapte à son milieu. Il s’ébat dans le sein de l’ancêtre de toutes choses (le Principe). Il dispose de tous les êtres comme il convient, n’étant affectionné à aucun être. Advienne que pourra, il ne craint rien. Ainsi dirent Chenn-noung et Hoang-ti. Les politiciens actuels (Confucius et ses disciples) font tout le contraire, aussi éprouvent-ils des revers. Après la condensation, la dissipation ; après le succès, la ruine. La force appelle l’attaque, l’élévation attire la critique, l’action ne va pas sans déficits, les conseils de la sagesse sont méprisés, rien n’est ni stable ni durable. Retiens bien, ô disciple, que le seul fondement solide, c’est la connaissance du Principe et de son action.
(photo: aixcraker sur Flickr)
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Commentaires
Fan de culture chinoise, j'apprécie énormément cette méditation qui m'accompagnera toute la journée.
Merci de rappeler que ce pays est D'ABORD celui d'une grande civilisation.
Je viens de terminer un roman - Tokyo de Mo Hayder- construit à partir du massacre de Nankin. (déc.1937)
Les bonnes âmes occidentales ne songent jamais à rappeler quand la Chine a été victime d'exactions abominables, lesquelles pourtant expliquent la Chine d'aujourd'hui, en particulier le nationalisme.
Le devoir de mémoire est très sélectif.
Tiens je t'ai ajouté en lien Eric sur Désir d'entreprendre, échange de lien ?
@Rosa,
Oui, apprécier et évaluer la politique chinoise est très compliqué. En gros, c'est quand même la dictature+le capitalisme fou! En détail, bien sûr, il faut voir sur place...
Mais ce n'est pas l'objet de ce billet... merci de ton commentaire.
@FB,
Tao!
Toujours l'impression que le Tao est une leçon sur l'absence de leçon !
Mais j'aime bien !
:-)