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Oublions ce que nous avons vu au journal télé, ce que nous avons lu sur des sites d'information, des magazines, des "journaux papier", ce que nous avons entendu à la radio. Oublions le contenu. Ce qu'il reste: un bruit de fond, un brouhaha, une tonalité, toujours la même, quelque soit l'actualité.
Cette tonalité, on peut la comparer au fond d'un tableau, ou à un bruit de fond. Pour le dire autrement, ce "bruit de fond", c'est une idéologie. L'idéologie dominante. Dominante, puisque c'est elle qui s'impose, finalement, et qui nous conditionne.
Je relèverai six traits qui caractérisent ce "bruit de fond" perceptible dans les médias. Il y en a certainement d'autres.
1. Court terme et urgence
C'est l'évidence: les médias traitent de l'actualité. Il est donc normal que ce soit le présent qui fasse l'objet des reportages.
Mais, avec les nouveaux moyens d'information, l'actualité se traite en temps réel. La guerre en direct s'invite en image à la télévision; Internet permet d'aller encore plus vite. Les blogs peuvent rendre compte d'un événement pendant qu'il se produit. Et on va encore plus vite avec Twitter ou les sites de partage de vidéos. Les sites d'informations utilisent ces outils, exemple: Aljazeera avec Aljazeera sur la "Guerre de Gaza".
L'urgence, le court terme, finissent par former un "bruit de fond", une évidence, un "naturel". Mais on sait bien que rien n'est naturel et que ce qui se donne pour naturel est idéologie. Et cette idéologie du court terme, on le voit à l'oeuvre partout dans la société, et notamment dans l'économie et la finance.
2. Dramatisation
Les médias racontent des histoires. Ils construisent des récits.
Dans toute histoire, il y a des personnages. Ils rendent l'action plus vivante; ils font mieux comprendre les idées qui sont en jeu dans l'actualité.
Pourquoi l'Europe est si peu présente dans les journaux télévisés? Parce qu'elle n'a pas de personnages à mettre en scène. Juncker, Barroso et autre Delors: ce ne sont pas des personnages... ou alors des personnages d'une pièce de Beckett sans le génie de Beckett.
En revanche, Sarkozy est un personnage. C'est aussi ce qui explique son omniprésence dans les médias.
Dans toute histoire, il y a une tension. Tension entre le bien et le mal, quand l'histoire est simpliste. Tension entre des groupes sociaux et des idées, quand les choses sont plus complexes.
Enfin, la dramatisation suppose toujours un retour au calme. Pas forcément le happy end hollywoodien, mais un retour à la normal, après la crise. Dans la classique structure du récit en 5 parties, enseignée dès le collège, la situation finale est un retour à la normale.
Par conséquent, le fait d'utiliser la forme du récit présuppose une vision d'un monde stable, où rien ne change vraiment, où on revient sans cesse à des états stables. En gros, on pourrait appeler ça une vision "bourgeoise" du monde, si le terme avait encore un sens aujourd'hui.
3. Transparence
Les médias veulent sans cesse nous montrer le dessus des choses. Ils prétendent le faire, tout du moins.
L'idéologie de la transparence suppose que l'on n'ait rien à cacher. Dans le pire des cas, c'est la télé réalité, avec son "éthique de la transparence" (trompeuse, puisque les séquences sont coupées au montage).
La transparence est aussi érigée en mode de gouvernance. Mais la transparence est illusoire, car le secret d'Atat est nécessaire à la pratique du pouvoir. (Voir revue Cité _ 2006)
Comme l'écrit Yves Charles Zarka, la transparence est une forme d'idéologie:
"Disons-le tout net, notre temps n'est pas celui du secret, mais de son opposé, la transparence. Il y a même, plus ou moins confusément, une idéologie de la transparence qui assimile implicitement la transparence à la vérité, à la rectitude et même à l'innocence, tandis qu'à l'inverse le secret comporterait, dans ce qu'il cache et qu'il n'avoue pas, de l'inavouable et de la culpabilité. L'idéologie de la transparence entend que tout peut s'exposer, devenir public pour être soumis au regard des autres, être également l'objet de procédures de surveillance et de contrôle. Le plus inquiétant est que l'idéologie de la transparence est aujourd'hui souvent liée à l'idée de démocratie. Comme si le progrès de la démocratisation était corrélatif de l'extension de la transparence et du recul du secret. Mais qui ne voit que cette démocratie ressemblerait à un cachot sans murs ni verrous, un cachot étendu à la société entière, et la vie de l'homme démocratique à un enfer ? Ce qu'il s'agit de remettre en cause, ce n'est pas la transparence, mais l'idéologie, l'abus, le règne de la transparence, ce qui est très différent."
4. Célébrité
La célébrité fascine les médias. L'inverse est vrai aussi.
Comme l'explique Virginie Spies, "si la célébrité fascine tant les médias, c'est certainement parce qu'ils trouvent ici un moyen de parler d'eux et de leur pouvoir, celui de faire et de défaire, au moyen d'un discours qui prétend être toujours plus dans l'action".
De plus " l'importance de la célébrité est un mythe maintenu par les célébrités elles-mêmes, comme s'il n'était pas possible d'avoir une "vie après". Je pense par exemple à Michel Drucker qui, dans l'émission qui lui était consacrée la semaine dernière, n'avait de cesse de répéter qu'il avait très tôt eu conscience du pouvoir de la télé, et qu'il ne pourrait jamais "décrocher".
Parler de la célébrité, et de la chute de cette célébrité permet de tenir un discours réflexif : le média parle de média, la télé de la télé. En ce sens, les médias utilisent, ré-utilisent et sur-exploitent leur propre matériaux."
5. Critique
De plus en plus, les médias intègrent la fonction critique.
Et, notamment, la critique des médias. Ce genre journalistique était embryonnaire il y a quelques années. Aujourd'hui, on compte plusieurs émissions de télé, de radio, des journaux (comme le Plan B) et des dizaines de blogs, bien sûr.
6. Culte de l'opinion
Donner son opinion, c'est devenu quasiment un droit du citoyen. Les médias ont fortement cédé à la tentation. Les radios où les auditeurs "donnent leur avis", les chats en tout genre, les blogs d'animateurs de télé ou d'éditorialistes à l'accent du sud-ouest, etc.
Tous ces moeyns sont bons pour recueillir l'opinion des "français" ("les français", expression brevetée par le Figaro; "les français" désigne les 854 personnes qui ont bien voulu répondre au sondage opinion way du jour).
Et nous en arrivons bien sûr aux sondages d'opinion. Sans eux, les journalistes auraient du mal à remplir leurs pages certains jours. Ils seraient obligés d'avoir de l'imagination. L'imagination, ce qui échappe à l'idéologie?
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Médias, vecteurs de l'idéologie dominante? (Union syndicale solidaire _ Acrimed)
L’emprise médiatique sur le quotidien est de plus en plus présente dans notre société. Lire la presse ou passer plusieurs heures devant la télévision ne peut qu’avoir une influence sur le comportement général, les choix de mode de vie et de consommation quotidienne des individus. Il s’agit bien de formater les esprits pour réduire leurs capacités d’analyse autonome et leur faire admettre plus facilement les choix politiques comme de simples réponses techniques et sans alternatives.
Pour remplir une fonction démocratique, les médias devraient être diversifiés et soustraits à l’emprise directe des pouvoirs économiques et politiques. De par leur position dominante, ce sont avant tout les médias “ établis ” qui “ forgent l’opinion ”. Or, du point de vue économique comme éditorialiste, les principales entreprises médiatiques sont des vecteurs de l’idéologie dominante et des acteurs de la mondialisation néolibérale – ceci au mépris de la diversité des opinions et des aspirations de leurs lecteurs/trices, auditeurs/trices et téléspectateurs/trices.