Internet est un champ de bataille. Et, sur ce champ de bataille, chacun utilise ses armes. Comme dans le film, il y a le bon, la brute et le truand.
Le bon, c'est le journaliste: tel qu'il se présente lui-même.
La brute, c'est Google: la force à qui rien ne résiste.
Le truand, c'est le hacker, avec son habileté à contourner les interdits.
1. Le journaliste
Le journaliste, dans le contexte Internet, n'a de cesse de se présenter comme le bon.
Il est professionnel: vous êtes amateur.
Il a une déontologie: vous bricolez et vous piratez.
Il a des contraintes: vous vous amusez.
Il perd de l'argent: vous n'achetez pas son journal.
Professionnalisme. Effectivement, le journaliste est un professionnel. Il établit des faits d'actualité. Il vérifie, il enquête.
Déontologie. Le journalisme est régi par une charte déontologique, comme toutes les professions sérieuses. Le journaliste établit des faits, et il protège ses sources. Il n'est pas lié aux pouvoirs politique et financier. Il distingue clairement l'éditorial de la publicité.
Pilier de la démocratie. Les journalistes sont supposés être un des piliers de la démocratie. Sans eux, la liberté d'expression n'a pas de sens.
De nombreuses trahisons. Hélas, les médias ont souvent trahi leurs principes. Complaisance envers les puissants, connivence avec les politiques, futilité dans le choix des sujets, etc. Les entorses à la déontologie sont trop souvent constatées.
Le beau rôle. Le journaliste se donne le beau rôle. Il s'identifie (et voudrait qu'on l'identifie) au standard le plus élevé du journalisme. Tout journaliste se prend pour un journaliste du New York Times (sans les compromissions lors de la guerre d'Irak). Dans les faits, c'est loin d'être le cas.
Peu innovant. Les sites d'information sur Internet sont beaucoup moins innovants qu'ils ne le disent. Quant aux scoops et à l'information « différente », elle est rare. Le panurgisme est la règle. Le contenu dupliqué pullule.
Tour d'ivoire. Le journaliste sur Internet a parfois du mal à accepter l'horizontalité du dialogue, donc l'égalité entre lui et le lecteur. La démocratisation de l'accès à l'information le prive d'une de ses prérogatives. Il en souffre.
2. La brute
Sur le champ de bataille, un combattant hors norme est apparu. Il a l'âge d'un enfant, à peine plus que l'âge de raison. Il est cruel et sans pitié avec sa devise ironique: « Ne fait pas de mal!». C'est Google!
Le calcul, force brute. D'où vient la brutalité de Google? De la force du calcul. Le calcul est une force sans limite. A l'origine, ses fondateurs sont des mathématiciens. Depuis, ils se sont alliés avec des financiers. Pour faire du chiffre.
Utile. La force de Google tient au fait qu'il n'est pas un site mais un outil. On change de site des dizaines de fois mais on change plus difficilement d'outil.
Transgression. L'autre caractéristique de Google c'est qu'il estime que tout est permis sauf ce qui est interdit. Pour les autres, c'est plutôt le contraire: la présence d'interdits structure l'environnement. Pour Google, il faut qu'on lui dise « stop » pour qu'il arrête.
Les problèmes posés par Google sont nouveaux. Par exemple, Google News achemine gratuitement des visiteurs vers les sites d'information. Et, au lieu de remercier Google, les propriétaires de médias veulent le faire payer. Il est vrai qu'au passage Google agrémente son site Google News de quelques pages de publicité. Le problème ne s'est jamais posé: les médias n'avaient pas prévu que les agrégateurs de nouvelles auraient une place aussi stratégique dans l'écosystème médiatique.
Utopie. Il faut se souvenir qu'à l'origine, le projet de Google était de permettre l'accès à tous de tout le savoir. Le savoir et pas seulement l'information. Depuis, cette utopie s'est transformée en business qui roule. Les premiers résultats d'une recherche ne sont pas des sites universitaires mais des sites commerciaux. Est-ce que ça pose problème.
3. Le hacker
Dans le contexte du réseau, le hacker est finalement le personnage central, quoique apparemment marginal.
Le mot « hacker » est connoté péjorativement. Le hacker est un pirate, un briseur de code, un tricheur, un truand.
Mais «l'éthique hacker » (titre d'un livre de Pekka Himanen _ 2001) a pénétré les consciences et les pratiques. Le monde du logiciel libre en est l'illustration la plus courante. Les réseaux sociaux en sont une autre forme: les utilisateurs y mettent en partage des données qui les concernent.
Passion. Le hacker a une attitude passionnée à l'égard du travail. Il travaille alors qu'ils n'y est pas obligés. Cette passion le pousse à partager ce qu'il sait avec les autres sur Internet.
Non lucratif. Le hacker travaille librement, avec les autres, et de façon collaborative, à élaborer quelque chose de socialement utile. Ce qui le motive n'est pas l'argent.
Coopération. La production est élaborée grâce à la coopération de nombreux utilisateurs. Aucun n'est propriétaire de l'ensemble, tous peuvent y avoir accès.
Reconnaissance par les pairs. Ce qui motive le hacker, outre la passion, c'est la reconnaissance de son travail par ses pairs. Comme l'écrit Himanen: « Pour les hackers, le facteur organisationnel de base dans la vie n'est ni le travail ni l'argent, mais la passion et le désir de créer avec d'autres quelque chose de socialement valorisant. »
Conclusion
Le champ de bataille est très ouvert pour l'instant. L'issue du combat n'est pas prévisible.
Pourtant, l'enjeu est important: permettre l'accès le plus large à l'information est vital pour le plus grand nombre. Au contraire, restreindre l'accès intéresse les nouveaux aristocrates (les netocrates) du capitalisme mondialisé. Ils s'organisent pour créer des barrages et autres obstacles législatifs. Qui l'emportera?