Les médias nous informent. Et informer c'est donner une forme. Dans cette série de billets, je souhaite étudier les différentes manières de penser que les médias nous imposent, presque de façon inconsiente.
Ce billet fait partie d'une série: 1. Présentiser 2. Négativiser 3. Décontextualiser 4. Mythologiser 5. Provincialiser 6. Dominer 7. Emouvoir
Dans le flux des informations, on peut croire que les événements se suivent et ne se ressemblent pas. Or, c'est tout le contraire qui se produit. Les mêmes schémas reviennent sans arrêt. Et ces schémas on peut les appeler des mythes.
On peut se demander si ces schémas récurrents n'ont pas la fonction que les récits mythologiques avaient par le passé.
Comme l'écrit Peter Sloterdijk:
"Le mythe est un système de récit qu'on répète inlassablement avec de petites variations pour réagir à la réalité mouvementée du réel et le réduire toujours à un modèle identique de ce qui se passe au fond dans le monde depuis toujours.
Dans le même temps, il existe une mythologie moderne qui fonctionne comme un système pour gérer l'oubli collectif. C'est-à-dire organiser le présent comme un bain permanent d'information. Nos informateurs sont, d'un point de vue systémique, des mythologues qui contribuent en permanence à l'abolition de la mémoire. L'information sur le présent disparaît derrière le mythe qui crée un univers où, au fond, rien ne change. On raconte une multiplicité d'histoires pour ne pas avoir à raconter LA grande histoire qui est la route de la Révolution."
Commentaires
Ce qui revient à dire que croire l'actualité, la prendre pour vraie, fait de nous des mythos ?
:-))
Elle est vraiment bien ta petite série de décryptage. Merci !
@Monsieur Poireau,
Exactement.
@Isabelle,
Thanks!
Eric,
j'aime beaucoup ta série et je trouve toujours épatant ton souci de théosriser, d'analyser, de décortiquer le raisonnement...
Mais, pourquoi ces verbes (Présentiser, Négativiser, Décontextualiser, Mythologiser) sont si compliqués ????
@Eric, tu pars quand même du principe que le récit de l'info à la base est véridique ... Or il n'en est rien le plus souvent.
Pourquoi ne pas parler de Mythomanie plutôt que de Mythologie en ce qui concerne l'info ?
Ça nous donnerait, Mythomanoliser ... ou mieux Mythomagnoliser pour signifier qu'on endors les plantes (magnolias ?) affalées devant leurs télés. Tiens ça me fait penser, vu la m. qu'on nous déverse à Mythomane-O-lisier.
@Farid,
"Pourquoi ne pas parler de Mythomanie plutôt que de Mythologie en ce qui concerne l'info ?"
Parce que la Mythomanie c'est du pathologique alors que la Mythologie c'est plutôt de l'anthropologie. Les médias racontent les grands mythes d'aujourd'hui. D'une certaine façon, les journalistes exercent des fonctions proches de celles des anciens chamans, des clercs, des prêtres d'autrefois...
Mais, parfois, bien sûr, la mythologie rejoint la mythomanie.
En fait, (et c'est peut-être vrai depuis le 11 septembre, ou depuis l'avènement d'Internet) il n'y a rien qu'on puisse appeler la réalité. La réalité a disparu (Cf. Baudrillard). Il ne reste plus qu'une chose: une lutte sans fin pour imposer sa vision de l'Histoire.
@BertranD,
Pourquoi si compliqué? Parce que je n'ai pas eu le temps de trouver plus simple.
@ Éric : ni depuis le 11 Septembre, ni depuis la naissance d'internet. Ce que nous appelons "la réalité", c'est ce que notre cerveau construit à partir des messages sensoriels qu'il reçoit. C'était même mon sujet du bac de philo. (Ça ne me rajeunit pas !)
Et pour décoder ces messages et en tirer un sens, le cerveau doit s'appuyer sur des schémas préexistant, eux-mêmes construits d'après ce que le cerveau a reçu comme messages auparavant. Ce qui explique qu'une propagande qui répéte plusieurs fois la même chose puisse être efficace, bien que suprêmement bête : au bout de trois ou quatre fois, ça finit par être accepté inconsciemment, en tant que donnée de l'existence. (À preuve, la dernière élection présidentielle...)
La construction de la réalité est un phénomène reconnu au moins depuis Kant, qui disait : "La raison n'aperçoit que ce qu'elle considère selon ses propres plans." En 1895, Gustave Le Bon a théorisé ce phénomène dans son livre sur la psychologie des foules. Qui, ce n'est probablement pas un hasard, a inspiré aussi bien Goebbels pour la propagande que le publicitaire américain Claude C. Hopkins, fondateur des techniques modernes de marketing.
Une autre anecdote intéressante... Un de mes "grands hommes" favoris, Darwin, a écrit quelque chose comme : "une découverte non publiée n'existe pas". Bref, si un scientifique fait une découverte et ne la publie pas, tout se passe comme s'il n'avait rien fait, puisque ses travaux "n'existent pas" aux yeux du reste du monde.
Eric,
on dit (à tort peut-être) que la langue francaise possède un vocabulaire des plus riches et qu'il existe un mot pour chaque chose...
Tu sais qu'il y a des gens (des profs de fac) qui sont chargés de créer des mots ? Sais-tu qui a inventé le mot "Gazole" par exemple ?
Peut-être que tu pourrais postuler...
@Irène,
Oui, tout cela a été théorisé il y a longtemps et pensé par Kant bien avant. Et aujourd'hui les moyens sont juste plus perfectionnés. Pas seulement les moyens techniques, mais aussi la compréhension (sociologie, marketing...)
Bref, ce sont des moyens pour construire une réalité plus vraie que nature (surtout si on considère que la "vraie réalité" n'existe pas ou plus!) à l'usage des foules.
Cela dit, ça reste empirique...
Et ce n'est pas exactement ce qu'on appelle mythologiser. Là, ce serait plutôt enfumer...
@BertranD,
Créer des mots? Non, mais j'ai juste hésité...
Néologismons tous en choeur !!!!
Il en restera bien quelque chose...
@BertranD,
Cela faisait longtemps. Que tal ?
J'avoue mon impuissance, je ne suis pas assez vieille que pour faire des parallèles entre ce qui se passe aujourd'hui et le mythe de Sisyphe par exemple... ;-)
Voilà pourquoi je ne regarde plus les infos à la téloche, je préfère la chercher par moi même plutôt que gober celle qu'on sert tous les jours. Joli coup de maître Eric, la suite la suite !
"On raconte une multiplicité d'histoires pour ne pas avoir à raconter LA grande histoire qui est la route de la Révolution", a dit Peter Sloterdijk. Si tu le cites, j'imagine que tu reprends ses termes à ton compte ?
Si c'est le cas, et si on parle des informateurs, je ne pense pas que ce soit totalement leur rôle. Le journaliste nous raconte les histoires, en donne une analyse relativement court terme ou, en tout cas, n'intégrant pas la "grande Histoire". Mais c'est l'historien, le sociologue, le politologue, le chercheur au CNRS, que sais-je encore, qui saura nous donner une vision de ce qu'est cette histoire au sein de la grande Histoire.
Pour autant, je ne suis pas en train de remettre en cause ta théorie de mythologisation. Je crois qu'il ne faut pas forcément faire endosser au journaliste un manteau qui n'est pas le sien.
@Armel,
Non, je ne reprends pas à mon compte la phrase de Sloterdijk, elle est une base de réflexion.
Ce qui m'intéresse surtout dans ce qu'il dit, c'est que l'information et l'actualité (qui changent tout le temps) produit, en définitive, du mythe, c'est-à-dire ce qui ne change jamais. L'actualité produit de l'inactuel, de l'éternel, ou plutôt du mythologique.
Tu as raison: le rôle du journaliste n'est pas de produire des mythes. En revanche, c'est l'industrie médiatique, telle qu'elle fonctionne, qui produit des mythes, ou qui met en forme les mythes de la société.
D'accord. Mais une certaine mythologisation n'est-elle pas parfois utile dans la création d'un ciment commun ? La France s'est aussi parfois construite sur des mythes (le vase de Soissons, Charles Martel a vaincu les arabes à Poitiers,...), qui sont pour le moins un embellissement de la vérité, mais qui, en même temps, concourent à un socle commun aboutissant à l'idée de nation.
En même temps que je l'écris, je me rends compte, que je ne suis pas encore bien sûr de cette théorie...
@Armel,
Oui, moi aussi je doute.
Est-ce que la nation se construit sur des mythes ou plutôt sur des valeurs communes (et des symboles)? Je tendrais à pencher pour la deuxième option, même si les grands mythes ont aussi leur place.
Par exemple, les valeurs: liberté, égalité, etc. sont structurantes. Les mythes, comme le mythe du grand home (général de Gaulle) sont plus de l'ordre de l'imaginaire collectif et donc de l'archaïque.
@Armel,
Oui, moi aussi je doute.
Est-ce que la nation se construit sur des mythes ou plutôt sur des valeurs communes (et des symboles)? Je tendrais à pencher pour la deuxième option, même si les grands mythes ont aussi leur place.