L’information est une drogue. Ou plutôt elle peut le devenir. C’est ce qu’explique Michel Lejoyeux dans son livre, Overdose d’info. Ce professeur en psychiatrie, au nom prédestiné, étudie les différentes formes de dépendance à l’information. Certaines peuvent s’avérer très graves. On les appelle alors « névrose médiatique ». Ceux qui écoutent France Info en boucle, regardent à haute dose les journaux télé et se gavent de journaux savent de quoi je parle… La thèse du livre est simple. La dépendance aux informations et à l’actualité peut être comparée à l’hypocondrie. Mais tandis que l’hypocondriaque s’imagine être malade et s’observe en permanence, le drogué d’info scrute le monde qu’il juge malade, mauvais et menaçant. Pour lui, chaque événement annonce une catastrophe. Les dangers sont partout : grippe aviaire, terrorisme, crimes, accidents… Tout doit être surveillé. D’où l’importance, croit-il, d’être bien informé.
Le livre du Professeur Desjoyeux est découpé en trois parties. Dans la première, est analysé ce qu’est la névrose de l’information, autrement dit la dépendance. La deuxième partie remonte aux causes de cette névrose. La troisième tente de suggérer des solutions.
Dans la première partie du livre, le Professeur dresse un diagnostic. Voici le portrait-robot du drogué d’info :
-
Le dépendant éprouve une envie irrésistible de consommer sa drogue préférée
-
Il consomme à heure fixe la drogue dont il est accro
-
Il consacre un temps important à l’objet de son addiction
- Il abandonne ses amis, ses loisirs et même sa famille pour se consacrer à son addiction
- Il augmente ses doses pour retrouver les premiers effets
- Il éprouve une sensation désagréable de manque ou de sevrage quand il est privé de sa drogue
Par ailleurs, contrairement à l’alcoolisme ou à la toxicomanie, la névrose médiatique, se présente comme une dépendance « sage, sérieuse ». Il n’y a pas de raison d’en avoir honte. On peut même en être fier. En effet, il n’est jamais mauvais d’être bien informé. Cela permet notamment de briller dans les dîners en ville. Mais, dans les cas pathologiques, cela occasionne beaucoup de souffrance, comme toutes les addictions.
Les causes
Une des causes principales de la névrose de l’information est à chercher du côté des producteurs et diffuseurs d’informations. Les professionnels des médias ont tout intérêt à nous rendre accro. C’est une condition de leur succès. Ils font tout pour rendre leur produit attractif. Titres accrocheurs, photos chocs, feuilletonnage des informations font monter le désir du lecteur et grimper les ventes.
Une des lois du journalisme est que les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne. Mais à ne parler que de catastrophe on fortifie le pessimisme. Ainsi les médias ont une furieuse tendance à titiller nos peurs. La bourse baisse ? On conjecture un krach. Attentat au Pakistan ? Et s’ils frappaient en plein Paris ? Grippe aviaire ? Confinez-moi ces poulets ! Pendant ce temps, le lecteur addictif se ronge les ongles…
La névrose médiatique a aussi ses causes au plus profond de l’individu. Le drogué d’info est un narcissique. Passer pour quelqu’un d’informé est une façon de se valoriser. Le narcissique veut imposer ses opinions sur l’actualité, quitte à refuser d’admettre celle des autres.
Le drogué d’info est aussi quelqu’un qui cherche à tout maîtriser. Il veut réduire les risques. Certains se spécialisent dans l’information médicale. D’autres sont friands d’actualité boursière. Pour tous, l’information agit comme un bouclier. Cette tendance peut s’apparenter aux obsessions, compulsions et autres troubles obsessionnels compulsifs.
Comment s’en sortir
Le Professeur Desjoyeux esquisse quelques pistes pour sortir de l’addiction aux news. Ce sont des conseils de bon sens.
A ceux qui voient le monde en noir, il suggère de repérer les erreurs de jugements qui les conduisent à généraliser hâtivement. La France décline ? Creusez-vous la tête : il y a bien quelques domaines où elle progresse. Le terrorisme se mondialise ? Raisonnez : jusqu’à présent Pornic et Vesoul ont été épargnés. Le climat se réchauffe ? Réfléchissez : il est temps de mettre quelques bières au frais. Quand on cherche des raisons d’être optimiste, on en trouve !
L’auteur donne des conseils pratiques : se priver quelques jours (voire quelques heures, pour les plus atteints) de télévision ou d’Internet, ne plus acheter le journal ; faire de l’exercice ; découvrir de nouvelles activités. Pour les cas les plus graves, une thérapie est recommandée.
Enfin, il est à noter que la maladie peut prendre des formes opposées. Ainsi, quelqu’un qui refuse totalement de s’informer est également concerné par la névrose médiatique.
J’ai particulièrement apprécié la conclusion de l’ouvrage. Le Professeur Desjoyeux y fait référence à Albert Camus : « Nous avons besoin de sortir de la position de spectateur pétrifié. Qui mieux qu’Albert Camus illustre cette exigence de révolte et de résistance ? Chacun de ses écrits la justifie. Ses éditoriaux dans Combat, le journal de la Résistance, sont des leçons de liberté. Ils s’adressent aux Français des années 1944-1945 nourris de force aux messages de la presse collaborationniste. Albert Camus annonce une vérité en apparence impossible. Il explique comment les armées d’occupation qui possèdent tous les leviers de pouvoir vont bientôt être anéanties. Il pose pour cela une condition. Les citoyens doivent se réveiller. Les consommateurs de propagande doivent redevenir des lecteurs critiques. Le chemin de la libération du pays passe par la libération des consciences et du sens critique. Camus oppose à la propagande pessimiste l’optimisme de ses convictions. […] Vous ne pouvez pas, expliquait-il à ses lecteurs anéantis par la presse pétainiste, dire que l’actualité ne vous concerne pas. Vous ne pouvez pas non plus céder au pessimisme. […] Albert Camus nous incite à choisir avec soin les journalistes qui nous ravitaillent en images et en opinions. Un journaliste est d’abord quelqu’un qui est censé avoir des idées. Les journalistes sans idée veulent informer vite avant d’informer bien. Les informations en apparence neutres ne le sont pas complètement. Elles obéissent à l’idéologie du conformisme et du scoop. Albert Camus taille en pièce le mythe de l’information objective, en temps réel, limité aux faits essentiels. Il nous rappelle une évidence qui mérite d’être répétée : aucune information n’est indiscutable, et l’actualité brute n’existe pas. L’information consommée de manière adulte, sans dépendance, ne peut se passer d’un commentaire engagé. »
En savoir plus: Un autre livre, La Mal info (terme calqué sur le mot "malbouffe"), est une enquête sur les consommateurs de médias.