Vendredi, j'ai participé à l'émission de Philippe Couve, l'Atelier des médias (RFI). Il y avait trois invités: Quitterie Delmas, Emmanuel Parody et votre serviteur!
L'émission a tourné, notamment, autour du rôle politique des blogs. Vous pouvez l'écouter sur l'Atelier des médias.
Plusieurs questions ont concerné Quitterie Delmas. C'est l'actualité qui veut ça. Elle a surpris tout son monde en refusant de se présenter aux européennes. Elle nous a appris qu'elle avait aussi quitté le Modem (mouvement démocrate).
"changement de paradigme"
Bref, Philippe Couve l'a un peu cuisinée... gentiment tout de même. Ca intrigue un peu, quelqu'un qui refuse de se présenter à une élection comme celle-ci et qui emploie des mots compliqués comme "paradigme". Moi, qui ne prône pas l'engagement à tout crin (c'est un euphémisme), j'avais envie de lui dire: "Fais un effort!"
Se retirer de la vie politique, au moins provisoirement, c'est une chose qui n'étonnerait pas un netocrate, une personne qui estime, notamment, que le vrai pouvoir n'est plus dans la représentation politique.
rejet des partis politiques
Mais une chose que j'aurais voulu dire (et que je n'ai pas eu la présence d'esprit d'ajouter pendant l'émission) c'est qu'il faut tout de même faire attention à ce discours tenu par Quitterie, tendant à discréditer les partis politiques.
Malgré leurs défauts, ce sont eux qui constituent la vie démocratique. S'en remettre, comme elle le suggère, aux organisations non gouvernementales ou aux "citoyens connectés" c'est, à mon sens, donner plus de force aux lobbys. Pour les plus faibles, le seul rempart, c'est l'Etat et les lois, qui sont produites par le parlement.
Ceci dit, bravo pour son courage. Tout le monde n'aurait pas pris cette décision.
rapports de force
Intéressante, aussi, a été l'intervention d'Emmanuel Parody. Sur différents sujets et notamment sur la question du rapport de force entre les éditeurs de sites Internet et les mastodontes que sont, par exemple, Google (la pub) ou les fournisseurs d'accès.
Il y a la question de la loi Hadopi, bien sûr, mais, plus globalement, un nouveau jeu économique où la mondialisation a fait émerger des géants qui ramassent quasiment tout le gâteau et laissent, en bout de chaîne, des précaires qui ne peuvent pas vivre avec ce qu'ils produisent. Je reviendrais sur la question: je pense qu'on aura l'occasion d'en parler...
parenthèse enchantée
Pendant l'enregistrement, j'ai peu parlé. J'ai tout de même dit un truc dont je me souviens. J'ai estimé que nous vivons une sorte d'âge d'or du blog (ou de l'expression sur Internet). Une période semblable à l'éclosion des radios libres dans les années 80. Une parenthèse enchantée. Mais, à l'époque, la parole libre avait été maîtrisée. Elle était devenue commerciale. Avec les blogs on peut craindre la même évolution. Des lois contraignantes pour la liberté d'expression, des ennuis judiciaires pour les blogueurs politiques, etc. Et, tout simplement, une banalisation des blogueurs.
Commentaires
Merci une fois encore éric de cette analyse, juste et mesurée. Je crains comme toi que le blog suive la même évolution que les radios libres. As tu lu hier sur presse citron, l'appel du RAIDH (http://www.presse-citron.net/journee-de-la-femme-face-a-la-menace-emergente-des-slapp-raidh-lance-un-appel-aux-internautes-et-aux-blogueurs-par-sabine-coulon) contre les SLAPP?
@ Eric : les radios libres et les blogs n'ont pas la difficulté à exister de façon pérenne. Prdoduire, diffuser sur les ondes demandent un investissement une énergie et un personnel conséquent, un blog demande cinq minutes par jour !
Certains blogs vont évidemment devenir commercial, les Wikio, Le Post et autres Blogasty cherchent évidemment à ramener à eux les profit que peuvent engendrer les blogueurs, il n'empêche qu'un peu de talent ou un message intérêssant aura toujours la possibilité d'être lu, partagé sur le net.
Et puis sur Quitterie, j'y vois un lien avec ce que tu dis de l'intervention de Parody concernant la loi Hadopi et d'un côté les geants qui ramassent les bénéfices et les précaires qui ne peuvent vivre de ce qu'ils produisent (et qui finissent en bout de course par payer la dette des géant quand le vent tourne !). Peut-être que Quitterie sent intuitivement que l'enjeu de cette crise va se jouer sur un autre terrain que le jeu politique (malheureusement). Les politiques ne peuvent jamais que gérer les possibles comme le disait si bien Mitterrand. Les solution à cette crise (économie solidaire, micro-crédit, théorie des 3R, objecteur de croissance, partage, solidarité, autres formes d'habitats - les yourtes, habitat partagé-), tout cela se construit et s'élabore sur le terrain, dans les associations et non dans les partis.
Oups, j'aurais du me relire, les "fotes" sont légions !
Pour la théorie des 3r : http://www.lachosenumerique.com/ecologie-la-theorie-des-3r
Il y a déjà des blogs commerciaux et on fait tous plus ou moins de pub sur les nôtres. Le problème c'est qu'il faudrait que les blogs soient davantage lus et consultés, or, j'ai l'impression qu'on stagne rapidement au niveau du nombre de visiteurs.....
Je partage pour partie la réserve de MERLIN sur la différence entre les radios libres et les blogs. En effet, le modèle économique des radios libres est beaucoup plus lourd à pérenniser que celui d'un blog, même si ce n'est surement pas en 5min par jour que l'on fait vivre un blog !
Eric, je pense que la période enchanté de la blogosphère est derrière nous. Le volume de lecteurs de passage est en baisse me semble-t-il, au profit des lecteurs récurrents. La blogosphère semble se replier sur elle même (je n'ai pas de données, juste un sentiment).
Je pense pour ma part que les politiques ont encore le pouvoir d'agir et qu'il faut agir là où l'on peu. Quitterie ne me fera pas croire qu'être député européen ne lui aurait pas permis d'agir : ce sont des réseaux d'influence, des moyens financiers, des accès aux média, des projets de grande échelles à défendre ou combattre, un poids au sein de son parti... Beaucoup pour quelqu'un qui veut agir, et absolument pas en contradiction avec les actions citoyennes.
Timothée et Cedric pointent un truc pertinent, et important, en effet :
L'impact des blogs est très très très largement surestimé dans la sphère médiatique en général, celle des blogs en particulier...
Les "netocrates", cela reste (heureusement) un sacré foutage de gueule, dont le seul danger est que quelques uns prennent ça au sérieux
@ Cedric, Thimothée, Florent : vous avez raison, la pseudo influence des blogs est totalement surestimée. Perso, je tourne à 15/40 visites jours, autant dire, rien du tout !
:-(
@Merlin, Cedric,
D'accord, un blog coûte moins cher à tenir qu'une radio libre. Mais un blog dont l'audience se tasse (Cédric) voire se tarit, c'est un blog qui dépérit. Donc, il y a un risque très grand de voir la "parenthèse" blogs se refermer. Au profit de produits plus facilement monétisables (plateformes de vidéo, facebook, etc.)
@Florent,
Oui, les netocrates sont largement une connerie. Mais que dis-tu de l'affaiblissement du pouvoir des politiques? A qui cet affaiblissement profite-t-il?
Merci Éric de transmettre ces info.
Je trouve cependant que Quitterie a raison de tirer le signal d'alarme au sujet des partis, parce que ceux-ci ne se sont pas rendu compte qu'Internet est une loupe terrible sur la vie politique et que les débordements qui passaient plus ou moins inaperçus dans le passé se voient désormais comme le nez au milieu du visage. Qu'ils le veuillent ou non, les partis politiques doivent s'adapter à la réalité nouvelle, c'est ce que dit Quitterie.
@ Eric : franchement je ne pense que les blogs risquent grand chose de la part de Facebook ou Twitter. qui demeurent des Post-it.
Mais de la même façon que la presse n'intérêsse pas tout le monde, le blog non plus ! Il y a eu une mode, la mode se tasse, mais les blogueurs qui ont des choses à dire, et ceux qui aiment apprendre en lisant continueront à fréquenter et échanger comme nous le faisons ensemble sur nos chers petits blogs !
:-)
@Hervé,
D'accord avec toi, vu de ce point de vue: les partis politiques ne voient pas ce qui se passe sur Internet et, plus largement, ils sont coupés de la population.
Mais pas d'angélisme: ce mythe d'individus connectés qui s'organiseraient tous seuls, ça se heurte à des réalités très dures, comme l'a bien expliqué Emmanuel Parody. Cette réalité terrible, c'est celle d'un capitalisme mondialisé.
@ Éric
Ce capitalisme-là s'effondre et c'est justement ce qui motive la bifurcation de Quitterie.
@Hervé,
Tu vas vite en besogne! S'effondrer, je demande à voir...
>c'est, à mon sens, donner plus de force aux lobbys
N'est-ce pas l'intérêt ? Que des groupes de pressions constitués de citoyens se créent ?
>Ce capitalisme-là s'effondre et c'est justement ce qui motive la bifurcation de Quitterie.
Mon cher Hervé, l'économie de marché a encore de beaux jours (siècles …) devant elle.
@Bob,
Mais le problème c'est que des groupes de pressions constitués de citoyens, cela représente des intérêts particuliers, alors que l'action politique est sensée représenter l'intérêt général.
Ça ne me semble pas contradictoire. Des lobbys ayant des positions différentes peuvent tout autant se faire entendre.
@Eric qui m'interrogeait ainsi :
"Oui, les netocrates sont largement une connerie. Mais que dis-tu de l'affaiblissement du pouvoir des politiques? A qui cet affaiblissement profite-t-il?"
Ah ben merde, à chaque fois que je poste un commentaire ici, je me retrouve piégé à devoir réfléchir :)
A bien y penser, même si c'est finalement connexe, toute la bulle autour de la "netocratie" et autres "citoyens connectés", particulièrement lorsque cela touche à la politique, m'inquiète pour une raison simple :
La non-représentativité effarante de la blogosphère.
Les politiques se sont affaiblis, au moins en partie, du fait de ce défaut de représentativité des partis.
On voit poindre aujourd'hui un phénomène médiatique supposant que la blogosphère politique, le "citoyen connecté" serait une réponse à ce défaut de représentativité. C'est ce que je comprends, en gros, du propos de Delmas.
C'est, hélas, l'inverse : le "citoyen connecté" est, d'après mon expérience, encore beaucoup plus éloigné de "la réalité" que l'élu, a fortiori le militant. Mais il jouit d'une présomption de représentativité qui, en effet, lui donne aujourd'hui un poids disproportionné et fort peu démocratique.
@Florent : tu confonds 2 choses complètement différentes, le militant et le citoyen. Le militant (politique, syndical, associatif...) est un citoyen consommateur d'information et naturellement connecté.
Les politiques ne confondent pas les 2. Ils essaient "d'utiliser" les premier pour toucher les seconds. La blogosphère que l'on sait absolument non représentative de la société, est un réseau médiatique comme l'est la médiasphère parisienne. Il ne viendrait à l'idée de personne de dire que les journalistes sont représentatifs de la population, mais ils ont le potentiel de toucher toute la population pris dans leur ensemble.
Il ne faut pas parler de poids disproportionné. C'est juste un réseau médiatique qui est représentatif de ce qu'il est. Un éditorialiste touche 20000 lecteurs, un blogueur 50 à 500. Et surtout, le premiers lit le second...
J'aimerais, Cédric, partager ton enthousiasme sur le fait que "on la sait non représentative de la société".
Ce n'est pas forcément la perception qu'en ont les éditorialistes - ou les politiques. L'influence des blogs, leur capacité à "toucher" les citoyens est, en tout cas dans le domaine politique, considérablement surévaluée.
Sur les "50 à 500 lecteurs" d'un blog politique, combien sont des "citoyens consommateurs d'information", et combien sont des membres du réseau médiatique ?
Plus je blogge politiquement, plus j'ai le sentiment d'un fonctionnement en vase clos, d'une bulle plus que d'une sphère...
@Florent,
Je te rejoins en partie, même si se pose une question:
qu'est-ce qui est le plus grave? La non représentativité de la blogosphère ou la non représentativité de la classe politique?
@Cédric,
"La blogosphère que l'on sait absolument non représentative de la société, est un réseau médiatique comme l'est la médiasphère parisienne. Il ne viendrait à l'idée de personne de dire que les journalistes sont représentatifs de la population, mais ils ont le potentiel de toucher toute la population pris dans leur ensemble."
Oui, vu sous cet angle, la non représentativité des blogueurs (et le fait qu'ils sont tout de même très homogènes sociologiquement) s'explique. Je suis d'accord avec toi sur cette vision d'une blogosphère, constituée de personnes s'intéressant à l'information, aux idées, voire aux coups de gueules. Personne n'irait reprocher aux journalistes de ne pas reprséenter la population (quoique: dans les années soixante, les journalistes représentaient plus le peuple).
Je complèterais juste mon propos pour dire que les blogueurs d'aujourd'hui sont un peut les commères d'hier, des concierges de paliers virtuels.
Ceux qui font de la politique à l'ancienne savent le pouvoir d'influence d'un concierge d'immeuble sur les habitants de son quartier. Il ne les représente pas, il a juste le moyen de communiquer avec eux, plus que ne le ferait jamais le candidat en campagne.
Thierry Crouzet parle de connecteurs. Ce sont des rôles qui ont tjs existé dans la société, les blogueurs en sont juste une autre forme qui bénéficie du levier technique du net.
@Eric : ce qui est grave, c'est que, pour corriger la non-représentativité des uns, on perd toute distance critique sur les autres qui, parce qu'ils ne passent pas à la tévé, sont perçus comme représentant magiquement le français moyen.
Typiquement, le danger, c'est ce que je perçois dans la réponse que te fais Cédric :
Non, les blogueurs ne sont pas les "nouveaux concierges" : les concierges, les bistrots, connaissent les habitants de leur quartier.
Les blogueurs, bien souvent, ne connaissent... que d'autres blogueurs.
On les fantasme en relais d'opinion, quand, en réalité, ils sont beaucoup plus des agents d'influence.
J'ai dit concierge de palier VIRTUEL. Les blogeurs connaissent d'autre consommateurs du réseau.