Libération a (ou avait) le don des titres. C'est aussi une machine à dépolitiser. C'est ce que montre Libération et ses fantômes, écrit par Eric Aeschimann, journaliste à Libération.
L'identité du journal repose sur trois piliers:
1. le lien avec le lecteur est très fort, acheter Libé c'est éprouver un "sentiment de liberté"
2. l'art du titre, exemple: une galerie de vieillard soviétiques bardés de médailles pour l'annonce de la mort de Youri Andropov, c'est titré: L'URSS présente ses meilleurs vieux
3. raconter l'actualité par imitation d'une genre artistique (roman, cinéma, chanson...). Exemple: en 1983, la gauche entame un plan d'austérité. Libé titre: DUR. Le mecteur de l'époque pense aussitôt au Collaro show, où un personnage récurrent conclut chacune de ses apparitions par un "Dur, dur!" dépité.
Et la machine à dépolitiser? Elle est là, justement. Les jeux de mots et la fiction produisent une prise de recul. L'information apparaît forcément un peu dérisoire. L'engagement politique aussi.
Le summum est atteint le 20 avril 2002. Libération trouve son plus mauvais titre: "Allez-y quand même".
Quelle connerie!
Le titre du 22 avril était Non! Ce n'était pas meilleur, à mon avis...
Aeschimann se demande pourquoi, ces derniers mois, la rédaction n'a pas tenté un coup de force pour prendre le pouvoir. Ce qui a permis à Laurent Joffrin d'obtenir ce pouvoir. Aeschimann explique cela par la dépolitisation des jeunes journalistes, les quadra ou trentenaires. Et il écrit:
"A Libération comme ailleurs dans la société française, la dépolitisation s'est révélée une belle machine à protéger le pouvoir des soixante-huitards."