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Putain, il fait un froid d'enfer ce soir, sur le boulevard Port-Royal.
J'arrive devant la tente. Le gars est là, debout, derrière une table.
Je m'avance:
_ Bonjour, je viens parce que je vous ai vu dans le Parisien...
Ce matin, en avalant un café, j'ai lu cet article du Parisien (non accessible).
Un homme, qui vit dans la rue, invite les habitants du quartier à partager un repas. « Venir avec son repas », précisait l'article.
Moi, je suis venu sans repas. J'ai préféré manger avant.
Et là, il y a cinq personnes. Et puis il y a le chien du SDF.
L'homme a disposé une pizza, du coca et une salade au thon sur la table.
Il a 27 ans, il s'appelle Tonio. Je l'ai lu dans le Parisien. (Il a un site Internet)
« Je pensais qu'on serait plus nombreux », remarque l'homme. « Je vis dans la rue depuis 9 ans, avec des interruptions ».
Devant lui, une jeune fille s'est arrêtée. Ils raconte. Il a eu une enfance difficile. Beau père policier violent. Il
Il y a aussi deux photographes. En discutant avec eux j'apprends que l'un est de l'agence Sipa. L'autre ne me dit pas pour qui il travaille.
Le jeune SDF me demande:
« La rue, vous en pensez quoi? »
Je réponds des banalités. Je ne sais pas quoi dire.
Et là, revient cette interrogation: pourquoi il n'y a personne. Enfin, presque.
Ils ne lisent pas le Parisien?
« Les gens sont durs », lâche Tonio.
Un des photographe tente une explication:
« Les gens ont peur. Le climat s'est durci. Ils craignent de perdre leur emploi. »
L'autre confirme. On donne moins aux SDF; on ne peut plus donner.
Les photographes prennent Tonio et son chien. Puis des détails. L'affiche où le SDF raconte son histoire. L'article du Parisien. La table, sur laquel des mots sont écrits.
Tonio met en ordre les bouteilles de coca. « Non, laisse-les comme ça », demande l'un des photographes.
Ces deux photographes ont suivi le DAL (Droit au logement) et les Don Quichotte, rue de la banque.
Leurs photos n'ont pas beaucoup intéressé les journaux. Ils en ont peu vendu.
Je relève:
« Les journaux parlent peu de la précarité. Finalement, c'est le Parisien qui en parle le plus. Aujourd'hui, il y avait plusieurs articles sur le sujet. » J'ajoute: « Libé, par exemple, parle très peu de ça. »
L'un des photographes me contredit. Il y a des sujets sur la pauvreté et la précarité dans Libé. Ils ont passé une de ses photos.
Tonio connaît Augustin Legrand et les enfants de Don Quichotte. Mais il n'a pas pu trouver un logement. Un des photographe explique qu'un homme célibataire passe après après une famille et après une femme seule, dans les critères d'attribution de logement.
Tonio s'éloigne de nous. Il va sonner à l'interphone de l'immeuble voisin. Des « voisins » ont promis de descendre.
Ils arrivent. Ce sont des ados. Ils apportent des pop corns et du coca.
Les photographes continuent de tourner autour de nous.
Tonio sert du coca à ses voisins. C'est le moment que je choisis pour me retirer. Je lui serre la main.
Je rentre. Je remonte le boulevard Port-Royal. Je rentre chez moi. J'allume l'ordinateur. Il fait chaud.
Commentaires
Merci, simple et efficace. La misère humaine est parfois très proche de nous, et si nous sommes précaires, il y'a pire que nous.
Je me souviens de la jeune SDF dans ma rue, qui le soir du 31 déc m'a dit "mais si vous n'avez que ça c'est mieux que rien" quand je lui ai donné 1 euro en expliquant qu'il me restait ça dans ma poche pour finir l'année.
Elle m'a répondu : ces sont les moins lotis qui ont le plus de regard humain sur nous.
Cruel non ? ou simple rappel de l'hypocrisie des nantis ?
bonsoir,
j'étais le photographe de sipa ce soir là ! tellement surpris !
j'ai le sentiment le lire le verbatim de ce moment précis, bravo,
et bonne continuation.
www.nicolaschauveau.com
Ne serait-ce que pour ce que tu as écrit ici, cela vaut vraiment le coup que les blogs existent.
Enfin ce serait encore mieux pour Tonio qu'il y ait des solutions durables pour lui et tous ceux (et toutes celles) qui vivent la même situation.
Bravo Eric!
Un texte vrai, humain.
« Les gens sont durs », lâche Tonio.
Les gens sont tristes, fatigués, ils se referment sur eux mêmes, ils ont peur de l'avenir.
On les manipule, on les moque, on les méprise.
Ils ont conscience que leur situation se dégrade et ne savent pas encore comment réagir.
Le mot "ensemble", galvaudé, a perdu sa valeur, il est devenu une enveloppe vide.
La misère effraie le passant, il a l'impression qu'on lui tend un miroir magique dans lequel il voit son futur, alors il presse le pas.
Comme l'autruche le fait dans le sable, il s'enfonce la tête dans son écharpe, dans le col de son manteau.
C'est à niveau là que les politiques néolibéralistes ont fait le plus de mal, elles ont détruit la solidarité, le sens d'autrui.
La course à la "réussite sociale" se mène seul, contre les autres.
Amer constat!
Tu rends visible ce qu'on ne voit plus puisqu'on passe en regardant ailleurs, la banalité de la précarité. De l'histoire d'homme sur le bitume…
:-))
Notre non action à tous est très bien présentée dans cet article accablant !
Personnellement, je prépare mon départ pour Le Guilvinec ! Ce monde ou l'argent nous mène en bateau me fait plus que chier.
Ce départ ne sera pas une fuite mais bel et bien une soif d'avenir et de bonheur. Tant que nous chercherons tous plus ou moins à "vivre mieux" au lieu de se satifaire d'un "vivre bien", nous courons à notre perte !
@Nicolas,
Tiens!
@Annie,
Oui, la compassion ne sert à rien: il faudrait que cela n'existe plus, des gens qui doivent dormir dans la rue.
@Céleste,
Oui, le libéralisme...
@Merlin,
Bon courage à toi!
Merci Eric. Il y a aussi un sdf dans mon quartier. Je le connais depuis longtemps maintenant et il refuse que je lui donne de l'argent. Du coup, je lui rapporte quelque chose du marché, une galette des rois, une barquette de framboises, un calendos...
C'est vrai, ça me coûte plus cher, mais au moins j'ai l'impression de lui faire un cadeau. C'est plus humain.
Un jour, quelqu'un lui avait donné un filet de babybel et il y avait un petit jeu de cartes dedans et il me l'a offert pour mes petits enfants.
Je me souviens aussi d'avoir donné un jour un paquet de clopes à une jeune fille que je voyais souvent, près de mon lieu de travail, parce que je croyais avoir arrêté de fumer et elle m'avait dit "que je ne vous reprenne pas en train de fumer...".
C'était un peu pareil, des rapports de personne à personne....
Merci Eric pour ce temoignage. L'invitation etait elle pour un seul soir ou pour tous les soirs a venir ? Car si tel est le cas il serait de bon augure de faire part aux parisiens de "l'adresse" exacte de Tonio.
Sans vouloir faire d'association maladroite, j'ai decouvert recemment le blog http://untempsderetard.blogspot.com/ qui m'a pris au tripe et qui merite d'etre suivi.
Voilà pourquoi j'ai commencé à bloguer, pour faire entendre ceux que l'on n'écoute plus, tous ces anonymes étiquettés par l'ANPE et le RMI devenus transparents aux yeux de tous, qui n'intéressent que pendant les périodes électorales...
Joli texte Eric, comme d'hab, tu es le maître et excelle dans cet art !
Voilà aussi pourquoi j'ai fait le blog de Christie au départ, pour qu'elle témoigne elle aussi à son échelle de la discrimination dont fait preuve l'Education Nationale via à vis des enfants handicapés et malades. Prends le temps de lire son blog, c'est révoltant, il nous faudrait tous la soutenir pour qu'elle se fasse entendre :
http://alluvions-mc.blogspot.com/
On peut être tous touchés de près ou de loin comme elle, personne n'est à l'abri, on monte un projet associatif ensemble, elle a besoin d'aide et de reconnaissance, pensez y !
M.
@M.,
Oui, on se demande comment aider les gens; et souvent ce n'est pas facile.
@Garçon,
Merci de l'info.
@Martine,
Merci du commentaire.
C'est terrible cette situation... Une chose m'a toujours choquée. J'ai appris qu'il existait des personnes qui travaillent, tous les jours elles vont bosser et le soir, au lieu de rentrer chez elles, elles dorment dehors. Pas assez de sous pour un toit ! Ce monde est terrible... Et en même temps, est-ce que nous, les 'nantis', nous bougeons ? Assez peu finalement. Et moi la première...
C'est bien ce genre de petits billets, vraiment.
Par contre, t'aurais pu lui ramener un sandwich ou une bière!;)
j'ai beaucoup aimé ton article Eric, le ton aussi
l'indigent qui offre l'hospitalité....
Cet homme avec ce geste digne nous rappelle à nos insuffisances.
Parce que nos mots ne sont pas très caloriques pour les ventres creux.
Il est facile d'être solidaire avec des mots de façon individuelle et sporadique, mais ça ne sert strictement à rien, sinon à panser notre conscience et notre sensibilité mise à mal par cette société dure.
La solidarité active est une chose immense qui nous remet fondamentalement en question, qui m'a remise totalement en question en tous cas: quand il a fallu passer à l'acte, à l'engagement, sur un temps très long et en dépit du fait que cela obère ma propre vie (oh si peu à coté de la vraie misère en fin de compte), en dépit du fait que cela la fait vaciller, que cela me contraint et me bouffe ma tranquilité, j'en ai honte parfois d'en souffrir et de vouloir renoncer, mais je me dis qu'il suffirait que je ferme les yeux pour ne plus voir ce frère de sang , qu'il serait plus facile de jeter qq pièces dans sa gamelle ; mais il a fallu que ça soit un frère de sang...faut-il donc que cela nous touche de si près pour que nous agissions ?
la solidarité c'est un peu comme la fidélité : tant qu'on n'a pas été tenté par la chair ailleurs et que l'on y a résisté, on ne peut pas dire que 'lon est fidèle...eh bien tant que je n'ai pas été devant le dilemne cruel , je ne pouvais dire que j'étais solidaire en donnant de temps en temps...parce que ça ne suffisait plus quand la rue a été là...
Aller sous la tente, manger avec cet homme ou ses semblables, lui serrer la main, toucher un sans abri avec ses doigts (ne pourrait -on pas déjà cesser de les appeler des sdf , leur redonner le droit aux mots ? sans abri, sans domicile fixe...n'est-ce pas le minimu:m de reconnaissance, ce sont des hommes pas des firmes ni des choses, ni des abréviations d'hommes...) c'est déjà un premier pas, l'emmener boire un café dans un bar... pour ne serait-ce que aprler...déjà ça...ça demande une remise en question pour nous tous
@Anne,
Merci de ton commentaire.
La différence fait peur, qu'elle soit physique, mentale, sociale et pourtant i vaut mieux savoir que personne n'est à l'abri du pire. Et je remercie M. de m'avoir aidée à dire et je remercie tout ceux qui sont venus lire ou pas...
Car le pire est l'indifférence ou la façon polie dont on use pour faire semblant de s'intéresser. mais l'être humain est ce qu'il est parfois génial, parfois lâche, parfois abruti, parfois.. Tous les qualificatifs pourraient y passer.
Je pense à l'article de Janine Thombrau.
http://www.lepost.fr/article/2009/02/06/1414218_handicapee-et-raciste-comment-cela-ce-peut-il.html
Article dans lequel elle dénonce les propos racistes des personnes en situation de handicap.
C'est là que l'on comprends la vraie différence entre les êtres humains.
Ceux qui voient parce qu'ils ont décidé d'ouvrir les yeux et les autres...
Et nous sommes chacun responsable de ce que nous sommes.
c moi tonio alors comme saon me previent meme pas se que vous faite sur moi et le mettre sur internet vos message sont bien mais avant on demande lautorisation merci