Avec Internet, on s'habitue à accéder à l'information de façon directe, sans l'aide d'intermédiaires. Le rôle de médiation des journalistes est remis en cause. Ce rôle ne disparait pas: il se modifie. Dans le même temps, d'autres médiateurs apparaissent. Cette désintermédiation est apparue très visible lors de l'émission « Parole de Français », où le président de la République répondait à 11 Français (plus 2 journalistes de TF1).
Avant de se rendre à Davos, le locataire de l'Elysée a participé à l'émission « Paroles de Français ».
Cette émission, on peut la voir de deux façon:
1) c'est juste un trompe l'œil, une émission de télé réalité politique, un pseudo échange entre un homme politique et des citoyens triés sur le volet; l'essentiel se passe ailleurs, par exemple au sommet Davos, qui réunit les super riches.
2) cette émission atteste de la montée en puissance de la « parole » des citoyens, de l'opinion qui s'exprime de façon directe, avec un rôle restreint des journalistes
Désintermédiation
L'émission de TF1 n'est pas la première du genre. Elle met en scène la désintermédiation entre les gens qui parlent et ceux qui écoutent. Les Français parlent aux Français! Entre eux, il n'y a plus rien. Enfin, presque rien: Jean-Pierre Pernault. De même, le président de la République s'est adressé à ses « amis » sur Facebook, de façon totalement désintermédiée.
Cette désintermédiation est de plus en plus souvent à l'œuvre. Elle consiste en la suppression, ou la réduction, du rôle de médiateur tenu par les journalistes.
Les citoyens s'expriment directement. Le médias n'a plus pour rôle que de recueillir ces « paroles de Français ».
On peut toutefois se demander quelle est la valeur de ce genre d'émission: écran de fumée ou réelle expression citoyenne?
Médias sociaux et parole citoyenne
Ces derniers mois, on a connu d'autres exemples de désintermédiation. Dans l'affaire Jean Sarkozy à l'Epad, les citoyens ont fait « remonter » une information. Les médias sociaux ont joué leur rôle à fond. Sans eux, les médias classiques n'auraient peut-être pas donné tant de place à cette affaire. Même chose pour l'affaire Proglio.
Autre fait: les partis politiques ont lancé ces dernières semaines des réseaux sociaux. Chaque parti a maintenant son « Facebook » où les militants peuvent proposer des idées et organiser des événements. Reste à voir ce que tout cela va donner. Dans un parti structuré de façon pyramidale, comment la base peut-elle se faire entendre?
Le Facebook des partis politiques
Autre exemple, des blogueurs interviewent des hommes politiques de leur propre initiative. C'est une façon de cour-circuiter totalement les journalistes professionnels et de poser les questions qui les intéressent réellement. Ainsi, ce mois-ci, des blogueurs ont invité le président de la région Ile-de-France dans un bistrot pour l'interroger.
Récemment, j'ai discuté avec un journaliste de la télévision publique. Il m'a expliqué qu'il avait essayé d'introduire des « paroles de Français » dans des reportages lors de la présidentielle. En gros, il voulait intégrer des interviews de Français de l'étranger réalisées par webcam. Et la direction lui a expliqué que ce n'était pas possible, comme ça, de diffuser des documents bruts. Autrement dit, la désintermédiation, ça n'est pas accepté par certains journalistes, et plus précisément par ceux qui dirigent les rédactions.
Journalistes désavoués
Pour les journalistes, la désintermédiation est une forme de désaveu. Cela démasque une réalité maintenant bien visible: les journalistes stars (ne parlons pas du gros bataillon des journalistes, plus ou moins touchés par la précarité) sont coupés de leur public. Ils font partie de l' « élite ».
La récente étude de La Croix montre que les Français croient de moins en moins à l'indépendance des journalistes vis-à vis des pouvoir politique et financier.
Le salaire de Laurence Ferrari
Ainsi, quand Laurence Ferrari interroge le locataire de l'Elysée sur le salaire des patrons, celui-ci a beau jeu de la renvoyer à son propre salaire à elle.
Et quelles relations certains hommes politiques entretiennent ou ont entretenues avec certaines journalistes? Une relation beaucoup trop intime.
On est arrivé à un tel point de connivence entre les journalistes et le pouvoir politique que ça ne peut plus ne pas se voir.
C'est pourquoi le service de communication de l'Elysée est obligé d'organiser des émissions face aux Français s'il ne veut pas assister à ces gênantes séances de pseudo-questions qui tiennent lieu de journalisme quand Guy Lagache, Alain Duhamel et Laurence Ferrari (encore elle!) interviewent le chef de l'Etat.
Jean-Pierre Pernault fait les présentations
On en arrive donc à ce genre de pis aller: une émission ou il ne reste plus entre l'homme politique et les Français que Jean-Pierre Pernault. Jean-Pierre Pernault, magnifique et patelin, se contente de faire les présentations. D'ailleurs, est-ce qu'on lui en demande plus?
Commentaires
Les personnalités politiques et candidats jouent à fond cette carte, pour plusieurs raisons :
- échapper au traitement journalistique (question, vérification, insistance...) et à un peu de neutralité, histoire de pouvoir "orienter" davantage les messages qui passent et sont relayés ici et là en ligne
- traiter directement avec le public, si possible en s'appuyant sur leurs alliés ou soutiens, c'est un salon de thé entre soi
- recréer de toute pièce une forme de proximité et de convivialité, abolir la distance qui passe parfois pour du désintérêt (ce qui ne veut pas dire que la distance soit réellement abolie)
La désintermédiation est aussi un drôle de jeu de dupes. Qui s'est vraiment reconnu dans les questions posées par les 11 invités de TF1 ? Peut-être pas grand monde, en définitive. Et d'ailleurs Nicolas Sarkozy a laissé la phrase lui échapper : "je suis là pour être jugé sur mes actes" (ou quelque chose d'approchant).
Et puis, si la relation entre certains journalistes et certains politiques est effectivement très proche voire consanguine, que dire des blogueurs ? La danse du ventre a déjà commencé...
@Enikao,
Oui, je n'ai peut-être pas assez dit que la désintermédiation est aussi une sorte de leurre. Car les Français sélectionnés sont un peu des pros (syndicalistes, militants, associatifs, etc.) et les blogueurs sont aussi en train de s'organiser, de se professionnaliser (ce sont les nouveaux acteurs de l'intermédiation).
Mais en général, ce genre d'émission est intéressante non en elle-même mais parce qu'elle révèle du grand mouvement de désintermédiation qui est à l'œuvre, semble-t-il.
Tout à fait d'accord sur le côté "révélateur".
A suivre.
Exemple devenu classique de désintermédiation : la campagne d'Obama. En utilisant massivement la vidéo et les mails, il se passait des journalistes et des blogueurs.
Je ne suis pas d'accord avec ton analyse sur les blogueurs : le blogueurs choisi ses questions, donne un angle de vue, coupe, diffuse : il est dans l'intermédiation sanf que ce n'est pas son métier.
De même, il a des opinions, des proximités, des intérêts politiques qui font qu'au final, il interrogera avec plus d'indulgeance un politique de son camp et refusera souvent d'intérroger un politique du camp adverse.
Hier, les politiques allaient aux "club de la presse", aujourd'hui ils vont aux "Républiques des Blogs" ou à "La Comète". Le ton est sans doute différent mais dans le fond, ce sont des rencontres de même nature, non ?
@Miguel,
Oui, tu as raison et ta remarque rejoint celle de Enikao. D'ailleurs j'avais fait un long paragraphe pour nuancer sur cette question des blogueurs politiques. Je l'ai supprimé parce que l'article est déjà long et je voulais me concentrer sur l'essentiel.
L'essentiel, c'est que la fonction classique de médiateur dévolue au journaliste, cette fonction est remise en question. Tu as raison, les blogueurs sont des nouveaux médiateurs.
Tiens ! J'avais lu ce billet ce matin, la tête dans le cul, probablement puisqu'il était évident qu'une invitation de Huchon ne pouvait être que la mienne...
C'est la deuxième personnalité politique que je rencontre à la Comète et je dois avouer ma fascination devant "l'envergure" des bonshommes, c'est plus ce qui me fait les recevoir que l'interview lui-même. Par contre, ces rencontres sont bien plus intéressantes que celles à la télé : pas de caméra et les gens se lâchent, racontent des anecdotes, tapent sur leurs copains ...
Pour moi, les journalistes n'échappent pas à un phénomène beaucoup plus général et très préoccupant qui est celui de la disparition des corps intermédiaires devenus trop gênants. A cet égard, les blogueurs devraient considérer leur responsabilité dans ce processus : "l'atomisation" de la parole ne la renforce pas dans bien des cas.
@Nicolas,
Ces rencontres sont toujours intéressantes; on en retire toujours quelque chose. Mais c'est aussi une forme de récupération. On en est bien conscients!
@Didier,
Oui, mais est-ce que ça n'est pas aussi ça, la démocratisation?
Eric,
Justement, ce n'est pas vraiment de la récupération : le poids des blogs est nul. La visite de Huchon à la Comète n'aura laissé comme seule trace que mon billet en monde "bistro".
@Nicolas,
Pas vraiment, mais un peu quand même! C'est comme si tu disais: Jean-Paul Huchon il est venu à la galette des vieux mais c'est pas de la récupération. On peut appeler ça autrement: c'est le job d'un politique.
Leur boulot c'est d'aller à toute sorte de rassemblement, que ce soit dans un gymnase, un café, pour serrer des pognes. Et c'est une coïncidence si c'est avant les régionales!
Mais c'est bien qu'ils le fassent!
Eric,
Evidemment que c'est de la politique. Mais il a rencontré des blogueurs qui auraient voté pour lui sans cette visite !
En tant que relais d'une expression, l'existence de corps intermédiaires est la condition sine qua non de la Démocratie sauf à penser que la Démocratie consiste purement et simplement à donner la parole aux gens ce qui est un peu court non ? C'est en cela que la multiplication des blogs politiques n'est pas forcément un progrès de la Démocratie par contre tes analyses attentives et argumentées des médias le sont, donc c'est pas simple
@Didier,
Sous le terme désintermédiation, j'aurais pu aussi classer ce phénomène: l'homme politique est aussi atteint que le journaliste dans sa fonction d'intermédiaire (de représentant). En effet, un président de la république est peut-être plus faible qu'il ne l'a jamais été par rapport au pouvoir économique, qui est le vrai pouvoir.
Donc le problème n'est peut-être pas la multiplication des blogs (mais je suis d'accord avec toi, ils impliquent peut-être une déperdition d'énergie) mais le fait que cette parole et ces proposition n'arrivent pas à être reprises et prises en compte. Elles l'étaient avant, avec les corps intermédiaire: un parti écoutait la base et faisait remonter les idées. Est-ce encore le cas?
Didier, ce que tu dis sur la démocratie est intéressant : chez moi (Orléans) pour gérer la ville, on s'appuyait habituellement sur les responsables associatifs que l'on associait aux comités de quartier. On parlait alors de "démocratie locale". Aujourd'hui, pour faire participer les citoyens, on vire les assos et on tire au sort des citoyens volontaires. On parle de "démocratie citoyenne". Chaque citoyen ne représente que lui-même et on diminue l'influence des corps intermédiare considérés comme partisants.
Le problème, c'est l'équilibre entre la démocratie participative et la démocratie représentative : une société sans corps intermédiaire mais qui permettrait aux citoyens de participer directement au débat, est-ce encore une démocratie ?
@Miguel : je pense que c'est une erreur de regarder le processus démocratique comme un dosage entre différentes de ses formes. La Démocratie locale ou participative ne se fait contre la Démocratie représentative, elles sont complémentaires et pas dans le même registre. Les corps intermédiaires comme les syndicats ou les associations sont essentiels. Eric parle de "déintermédiation". C'est un barbarisme qui dit bien ce qu'il veut dire. Le supposé 4ème pouvoir n'a rien vu venir, tout occupé qu'il est à combattre les pauvres blogueurs - on peut le regretter. Moi je me rappelle des émissions politiques comme "l'heure de vérité" et quelques autres ou le corps intermédiaire journalistique posait les bonnes questions aux dirigeants. Aujourd'hui, c'est JP Pernault comme le dit Eric ;-(
tout à fait d'accord avec didier!