Internet est un gigantesque musée, mais il faut accrocher les tableaux soi-même. Une nouvelle fonction est en train d'émerger, pour palier ce problème: on les appelle "digital curator", "content curator", ils sont l'équivalent d'un commissaire d'exposition dans le domaine de l'art et des musées.
Sur Internet, il y a du contenu, toujours plus de contenu. Des textes, des vidéos, des images, du son. Toutes ces informations ne valent que si ont peut entrer en contact avec elles. Sinon, elles s'entassent, oubliées, comme des archives que plus personne ne lit.
On peut faire un parallèle avec le monde des musées.
Un musée, c'est un ensemble d'objets d'arts, accumulés au fil du temps, et réunis en un lieu. Pour donner un sens à cet ensemble, le rôle des conservateurs et des commissaires d'expositions (curator, en anglais) est nécessaire.
Ils réunissent tous ces objets en sous ensembles cohérents: des collections, des expositions temporaires, etc. Mais ils font plus: ils aident le public à entrer en contact avec les oeuvres. Ils valorisent le contenu des musées, ils font vivre les collections.
Les sites Internet sont devenus tellement touffus, avec une telle masse de contenu, qu'il est nécessaire d'organiser ce contenu. La fonction de "digital curator" (je vous laisse imaginer la traduction en français) est de donner une cohérence à ce contenu. On peut souligner l'intérêt économique de ce travail: si les sites d'information peinent à gagner de l'argent avec l'actualité, peut-être qu'ils deviendraient rentables grâce à leurs archives.
Voici quelques exemple de sites web dans lesquels le contenu est traité à la façon d'une exposition, par des "curators":
Il s'agit d'une section du site du New York Times, où les sujets sont classés par ordre alphabétique, comme dans une encyclopédie. Les lecteurs ont ainsi un accès facile aux archives. Sur 14 000 sujets, les lecteurs ont accès aux articles, images et documents.
- Listes Twitter:
Le site Listorious recence les principales listes Twitter réalisées par les utilisateurs. Chaque créateur de liste est un "curator" (c'est le terme employé sur le site). Les personnes qui réalisent des listes sont des commissaire d'une exposition virtuele. Ils réalisent des expositions que les utilisateurs de Twitter sont invités à visiter.
- Blog:
L'auteur d'un blog est un "commissaire d'exposition", au sens où il sélectionne et assemble des contenus. Tous ces contenus sont rassemblés rassemblés autour d'une même thématique. (A lire: 10 idées pour tirer parti des archives de votre blog)
Ce service permet d'organiser le web: l'utilisateur sauvegarde des pages web, symbolisée chacune par un icone en forme de perle. En assemblant des perles, il compose un arbre à perle. Chaque arbre à perle est une petite exposition.
- Netvibes (pages publiques):
On peut voir, par exemple, ce qu'a fait l'écrivain François Bon, avec sa page netvibes; où il propose un choix de blogs littéraires. (signalé par Martine Silber)
Ce blog rassemble des photos de familles: chacun est invité à envoyer des photos de ses parents. L'ensemble compose une collection d'art étonnante, et également un morceau d'histoire et de sociologie.
- Sites d'agrégation:
Des sites comme popURL ou Originalsignal rassemblent en un lieu des contenus venus d'horizons divers.
Pour aller plus loin:
The Content Strategist as Digital Curator (A list apart)
The next big trend? It's all about curation (Steve Rubell)
photo: Salle Van Gogh du Louvre (Eric Mainville)
Commentaires
Voir Internet comme un musée est audacieux ! A croire qu'Internet, à l'image d'un musée, ne contient que des œuvres "remarquables". Prenons Van Gogh puisque la photo est la salle de Vincent : les "commissaires" de l'époque ont rejeté Van Gogh, alors attention .....
Très bon article. A noter que les digital curators sont aussi parfois créateurs de contenus contrairement aux commissaires d'exposition.
@Arf,
Tu as des exemples ?
@Didier,
C'est un poncif: les amateurs d'art de l'époque n'ont pas rejeté VG (voir mon billet à ce sujet il y a quelques jours). Il n'était pas connu du grand public, mais de quelques "curators", si!
Je parle pas nécessairement de contenus informatifs mais plutôt de créations artistiques ou qui se revendiquent en tant que telles : écriture, dessin, bd on line, photo etc... Dans ces communautés, le partage propulse du contenu autant qu'il en crée.
Pourquoi se casser la tête à trouver une traduction pour curator ? En français, celui qui organise l'information pour améliorer son accès, et bien ça s'appelle... un journaliste. ;-)
Excellent apport au débat qui a lieu dans la blogo US!
Comme je le disais chez Jegoun, le terme "curator" a un synonyme en anglais: "editor". C'est un mot qui pourrait bien convenir en français.
"Un musée, c'est un ensemble d'objets d'arts, accumulés au fil du temps, et réunis en un lieu. Pour donner un sens à cet ensemble, le rôle des
conservateurs et des commissaires d'expositions (curator, en anglais) est nécessaire."
Deux petites réflexions sur ce joli billet:
1. vous décrivez le musée en termes assez statiques. Vous semblez minimiser sa dimension humaine, et donc le temps. S'il s'agit d'un ensemble, c'est qu'il a été collecté, collectionné et pas seulement accumulé, terme impersonnel laissant imaginer un procesus naturel dénué d'intervention sensible ou intelligente. C'est donc le produit d'un travail. Il ne peut être dénué de sens. Ce dont vous parlez est d'une vision ex abrupto de ce qui y est présent plutôt que présenté. Vous parlez depuis un lieu et un temps et cherchez à donner sens. On pourrait chercher à en comprendre le sens tout autant. Ce que vous ne nommez pas est l'appropriation par le commissaire d'exposition d'une partie de la collection pour étayer un sens qui est celui qu'il veut donner.
2. je ne peux m'empêcher de noter que le terme que vous utilisez volontiers est celui de curator qui vient de curare, soigner, guérir. Or ce mot fait bizarement écho à votre notion de sens "nécessaire" qu'il doit donner. En ces temps de politiquement correct furieux et de formatage permanent, je trouve votre phrase très forte. Non, je ne crois pas qu'il soit nécessaire que qui que ce soit donne un sens à ce qui est exposé. Peut-être simplement plus intéressant et enrichissant, mais certainement pas nécessaire. Par ailleurs, sans vous en rendre compte peut-être, suggérez vous une opposition entre la collection au fil du temps d'objets qui serait dénuée de sens et celui que seul peut donner
un expert aujourd'hui pour que nous puissions les recevoir. En d'autres termes, la collection et le passé seraient dénués de sens, comme si l'homme en était absent, alors qu'aujourd'hui nous devons absolument en trouver (ou en recevoir) un. Et la contemplation? N'est-ce pas également le propre d'un musée (ou tout autre lieu de représentation d'une collection, comme internet par exemple) que d'offrir des objets à notre contemplation sans besoin d'une mise en oeuvre logique?
Très cordialement.
@Narvic,
Oui! Le journaliste peut le faire.
@Julien,
Hmm, oui, mais editor, cela a peut-être un sens plus étendu.
@Simple citoyen,
"je ne peux m'empêcher de noter que le terme que vous utilisez volontiers est celui de curator qui vient de curare, soigner, guérir."
Soigner, prendre soin. C'est très beau. Votre remarque est très juste.
"Prendre soin de soi", ce ne serait pas le but de la philosophie? (CF. Alcibiade)
Oui, je comprends bien l'opposition que vous faites entre la collection d'objets et ce qu'on peut appeler une exposition.
Eric - La traduction exacte de "Web curator" est bien "éditeur du Web". Un éditeur est celui qui donne un sens, qui organise des contenus créés par d'autres. C'est à la fois conforme au sens usuel du mot - un éditeur de livre est celui qui sélectionne des manuscrits, le organise par collection et les montre au public - et à son éthymologie.
Narvic - Dans le monde de la presse papier, un "curator" est bien plutôt l'équivalent d'un rédacteur en chef, car ce n'est pas celui qui écrit les papiers, mais bien plutôt celui qui leur donne une place au sein d'un journal. Par ailleurs, le journalisme est une profession, alors que l'édition du Web, comme le blogging, est appelée à s'ouvrir au plus large public.
Tous - il me semble que cet article, écrit alors que le "Web curatoring" n'était pas encore à la mode à San Francisco, pourrait peut-être vous intéresser : http://www.cratyle.net/fr/2009/02/23/la-communaute-participative-des-editeurs-du-web/
@Patrice,
Oui, ta traduction est bien, même si elle nous sort du monde de l'art. Personnellement, je trouve que "éditeur" est un peu trop polysémique. Mais je ne maitrise pas parfaitement le sens du mot anglais "éditor".
Merci pour le lien.
Eric, vous avez certainement raison d'utiliser cette interprétation de curator pour le Web.
Regardez cependant comme les racines du sens sont têtues: curator a bien à l'origine le sens de celui qui soigne et guéri, en accord avec le sens premier de cette fonction. Quant à editor, c'est celui qui "edit", et là encore au sens premier "to edit" c'est corriger, modifier (différent du sens français, resté proche de ses racines latines "mettre au dehors").
Les deux termes sont donc connotés identiquement en anglais, bien que non en français.
@Simple citoyen,
Oui, le curator, c'est celui qui prend soin d'un collection d'objets d'art. Effectivement, il y a cette idée, cette fonction de "conserver intact", qui nous rapproche du conservateur.
A moins que la traduction de Curator... ne soit malheureusement "curateur" (personne chargée de l'assistance d'un incapable... le journaliste ?)... comme on l'exprime pour les sociétés en faillite (une certaine manière de faire du journalisme, à l'heure des NTIC) ?
Vision plus noire, en effet !