Bernard Stiegler voit dans la crise actuelle un signe que le consumérisme a atteint ses limites.
" Ce modèle qui détourne tous les désirs du consommateur vers les objets de consommation se développe tout d'abord de manière heureuse - c'est le plein emploi - mais il se transforme rapidement, comme l'avait prédit Herbert Marcuse, en machine à détruire la libido. Alors règne la consommation addictive fondée sur la satisfaction immédiate des pulsions. Le résultat est que la société de consommation ne devient plus productrice de désirs mais de dépendances. C'est un modèle dangereux: le consommateur y devient malheureux comme peut l'être le toxicomane qui dépend de ce qu'il consomme mais déteste ce dont il dépend. D'où une frustration grandissante et des comportements qui inquiètent comme la destruction de la structure familiale, la peur des adultes à l'égard de leurs propres enfants ou une déprime généralisée."
(Entretien paru dans la Tribune, repris par Miguel Texeira)
Et, pour vous, le consumérisme, ça vous dit quoi?
Commentaires
Privilégier la quantité à la qualité, des appareils électro-ménagers moins fiables ou qui ont une durée de vie plus courte que ce qui pouvait être conçu auparavant... (malgré l'accroissement de consignes sécuritaire), l'argent-roi en arrière plan (qe dis-je ? au premier plan !), voilà ce que je pense grossièrement du consumérisme. Sociologiquement, des personnes déçues (peut-être déprimées) de ne pas avoir les moyens de remplacer une télé par une autre plus belle parce que plus récente..., des personnes jamais comblées et donc la satisfaction n'est jamais assouvie (donc peut-être déprimées effectivement...), des enfants sur-équipés technologiquement et dont les parents semblent impuissants à combler leurs désirs toujours grandissant, etc. etc.
Sinistre vision, mais il y a peut-être un peu de vrai... :)
Depuis que le produit n'est plus à la hauteur de la pub, comme les promesses de la science, la bulle de consommation - écart entre la valeur côtée des actions (ce que suscite le nom du produit) et leur valeur réelle (ce qu'obtient le consommateur lorsqu'il consomme le produit) est de plus en plus grand.
C'est le principe du film pornographique.
Quand la bulle va-t-elle crever ?
Vais-je crever avant ?
Les clairvoyances de Bernard Stiegler m'ont toujours impressionné de justesse. Malheureusement, j'ai l'impression qu'on le prend, en raison de ces clairvoyances, pour un "Bouffon sage",ou "Sage bouffon", je ne sais pas: La pertinence de son propos, la précision de sa description des mécanismes en jeu nous convainquent toujours; on sait que la mécanique suit exactement ces dynamiques.
On sait que oui, sa comparaison du consumérisme avec n'importe quel autre toxicomanie est juste.
Bien sûr, ce n'est pas exactement ce qu'il dit. J'intérprète l'extrait qu'en a fait Eric Mainville sur son blog, en posant la question La fin du consumérisme?
Le mieux, c'est que je le cite :
Ce modèle qui détourne tous les désirs du consommateur vers les objets de consommation se développe tout d'abord de manière heureuse - c'est le plein emploi - mais il se transforme rapidement, comme l'avait prédit Herbert Marcuse, en machine à détruire la libido. Alors règne la consommation addictive fondée sur la satisfaction immédiate des pulsions.
Le résultat est que la société de consommation ne devient plus productrice de désirs mais de dépendances. C'est un modèle dangereux: le consommateur y devient malheureux comme peut l'être le toxicomane qui dépend de ce qu'il consomme mais déteste ce dont il dépend.
D'où une frustration grandissante et des comportements qui inquiètent comme la destruction de la structure familiale, la peur des adultes à l'égard de leurs propres enfants ou une déprime généralisée.
Notre société de consommation ne produit plus de désirs, seulement de la dépendance.
Nous avons atteint un "niveau de vie", un "train de vie", un "niveau d'envie que l'on est en mesure d'assouvir", appelons ça un "niveau social" tel que désormais nous ne consommons plus pour satisfaire nos envies, mais pour ne pas tomber dans un état de sevrage de la drogue qu'est devenu pour nous l'Objet De Consommation.
Je veux consommer!
Je veux consommer!
Je veux, je veux, je dois!
Je DOIS consommer!
Ce n'est plus un choix, un acte d'analyse et de volonté personnelle.C'est désormais un besoin impérieux.
Un besoin nécessaire au confort du démoniaque organisme parasital que le modèle consumériste a nourri en notre sein.Ce parasite consumériste qui nous consume pour pouvoir vivre.
Qui ne s'émeut pas des dégâts collatéraux que sa subsistance implique: "destruction de la structure familiale", "peur des adultes à l'égard de leurs propres enfants", "déprime généralisée".
Qui, désormais, s'exprime dans la noirceur la plus éclatante.
Alors, non. Le consumérisme n'est pas en train d'atteindre ses limites. Nous avons atteint un point avancé de dégradation intellectuelle: nous avons "plongé". L'Objet De Consommation nous a eu.
On pensait dominer les choses, malgré les dires de sombres devins égarés dans les méandres corticaux de leurs délires.
Ces gens-là nous prévenaient :
Prenez garde!
Si vous ne prenez pas garde, vous ne serez plus maître de vos actes. Vous agirez pour nourrir cette bête immonde qui vit en vous. Votre volonté sera aliénée à ses seuls souhaits.
Ils avaient raison, les cons.
Mais, il n'est pas trop tard, si l'on décide de se sortir les doigts du cul, d'accepter notre condition de drogué(e)s
Et d'entamer le plus rapidement possible une cure de désintoxication.
Donc, non.
Non, le consumérisme n'est pas en train d'atteindre ses limites.
Nous avons atteint les limites, du n'importe quoi.
Il suffisait juste qu'on nous le dise, et Bernard Stiegler vient de nous le dire. Pas directement, non. Il ne parle pas de nous, de moi. Il parle de Nous, "le consommateur", "la société de consommation", "la famille", "les adultes", "les enfants", "la déprime".
Posons-nous tous, et toute, donc cette question: Est-ce que j'ai oui, ou non, une addiction à l'Objet De Consommation?
Posons-nous cette question, sincèrement. Ne nous contentons pas de réponses qui nous sont soufflés par l'Objet De Consommation.
Les gens en général, oui, ils sont drogués. Mais, pas moi. Parce que moi, je suis un peu à l'écart des circuits tradictionnels de la conso. Je ne recherche pas le bling-blong, je recherche l'authenticité, l'équité. C'est pour cela que j'essaie de réparer avant de jeter et de racheter. C'est pour cela que je ne consomme pas des produits dont l'élaboration a généré des souffrances pour les bêtes, ou pour l'environnement, ou pour le péquin de l'autre bout de la terre. C'est pour cela que je consomme que du "bio", euh non que de l'"équitable", ergh nan, que de l'"écolo", enfin que des trucs bien, quoi. Enfin, quand je peux. Parce que j'y pense, et puis, des fois, j'oublie.
On ne dit pas à un drogué qui s'enfonce dans son addiction :
Hé, toi! La drogue que tu prends, là, elle est en train d'atteindre ses limites. Des fois que tu ne saurais pas. Et, une fois qu'elle aura vraiment atteint ses limites, bein,là...Crac. Boum. Hue.
On lui pose des questions, plutôt:
Cette drogue que tu prends, vois-tu ce qu'elle te fait dire, te fait faire, et même te fait penser?
Vois-tu la souffrance que tu engendres chez ceux qui sont trop faibles, et trop peu protégés pour avoir le droit de vivre selon leur volonté?
@^vidi,
oui, cet accent mis sur la quantité au dépens de la qualité, c'est ce qui produit, justement une baisse générale de la qualité. CQFD.
@le bateleur,
Oui, le marketing a un rôle central dans cet état de faits.
@Zakatoustra,
"Alors, non. Le consumérisme n'est pas en train d'atteindre ses limites. Nous avons atteint un point avancé de dégradation intellectuelle: nous avons "plongé". "
Oui, ça n'est pas faux. Cza n'est pas loin d'être ce que je pense, car, concrètement, on ne voit pas le consumérisme disparaitre: il est toujours bien vivace.
En revanche, une certaine forme de consumérisme va sans doute disparaître. Peut-être va-t-on devenir un peu plus raisonnable, et un peu p^lus heureux?
J'ai longtemps été pauvre avec un budget à 1000 euros, voire moins... ce qui à Paris, tu en conviendras, te contraint à une consommation très basique...
Ma conso impulsive s'est toujours limitée aux biens culturels, cd et bouquins... que j'achète de moins en moins, préférant flâner à la bibliothèque. J'achète quans le "bien" est introuvable...
Le tout m'a préservé de l'addiction... Je n'ai même pas de téléphone portable perso, et donc ni compte facebook ou twitter.
Je dirai qu'avec un minimum de réflexion sur soi, on se rend vite compte que les biens matériels sont futiles, et que le marketing et la publicité créent des besoins superflus.
Ces derniers nous incitent à posséder tel truc, telle fringue, telle marque... Il en ressort un certain conformisme chez nos concitoyens qui a peut-être même des incidences sur la politique ?
Évidemment, certains ne peuvent plus suivre, des frustrations naissent, surtout chez les jeunes qui manquent peut-être de recul et d'esprit critique sur le système ?
Un système productiviste qui exploite toujours plus une planète (et ses habitants) dont les ressources sont limitées...
Finalement, le consumérisme prendra sans doute fin si un système économique "décroissant" remplace l'actuel...
«Nous qui désirons sans fin» de Vaneighem !
:-))
En fait, il me semble que les vraies victimes de la consommation addictive appartiennent à des classes sociales aisées.
@despasperdus,
Je pense qu'au contraire, l'attitude addictive face à la consommation frappe également les classes sociales défavorisées. Je dirais même que l'effet est encore plus pernicieux : non seulement, on "doit" consommer, sinon "on se sent mal", mais en plus, on ne "peut pas" consommer.
Résultat?... Vous avez déjà entendu parler de toxicomanes qui braquent des "vieilles dames" pour se payer un shoot? Et bien, je me permets de porter cette comparaison dans le domaine de la conso, à asvoir que les "pauvres gens" à qui on a "intimé l'ordre" de consommer et qui ne le peuvent pas sont ceux qui formeront les rangs des "délinquants potentiels". Une paire de chaussures de sport d'apparat ou une voiture de sport d'apparat, tels sont les "shoots" derrière lesquels ces drogués défavorisés courent, malgré les risques encourus.
Je justifie la criminalité? Non. J'en donne une explication systémique en me fondant sur les hypothèses énoncées par B. Stiegler.
@Pas perdu,
Non, les victimes de la consommation addictive n'appartiennent pas aux classes les plus aisées! Ce qui est le plus dur, c'est de ne pas pouvoir consommer et d'en avoir envie. De ne pas pouvoir répondre ç l'injonction de la société et se sentir marginal.
C'est tout à fait vrai, nous sommes dépendants de la société de consommation. En même temps, elle a été façonnée pour nous rendre dépendant. C'est le serpent qui se mord la queue...
A la réflexion, les victimes se rencontrent dans toutes les classes, non ? La frustration étant plus courante chez les plus pauvres.
EIl faudrait se mettre d'accord sur la notion de consommation addictive qui me semble toute relative... surtout après avoir la lecture de la page consacrée à un particulier dans le mensuel "la décroissance"...
@despasperdus
Ouaip, on est d'accord : on est "tous égaux" face à cette addiction.
Tu peux donner plus d'info sur cette définition de consommation que tu évoques?
Zackatoustra: on est potentiellement égaux face à cette addiction. On est peut-être pas tous armés "intellectuellement" pour y résister.
Je pense que la définition de la consommation addictive varie d'une personne à l'autre. Aussi m'est-il difficile d'en donner une de but en blanc.
Cela pourrait être tous les achats qui ne relèvent pas de la consommation "essentielle" : loyer, bouffe, habillement, transports, santé. Mais elle me semble trop simpliste.