Quand il s'agit de la "crise économique", les grands médias* ont tendance à tenir à peu près toujours le même discours. C'est une sorte de pensée unique qui traduit « en termes idéologiques à prétention universelle les intérêts du capital international. » (Ignacio Ramonet, Le Monde diplomatique, 1995)
Il est amusant de relire ce qu'écrivait, à ce propos, Serge Halimi en 1997 dans Les Nouveaux chiens de garde. A l'époque on parlait déjà de crise économique. Et les mots étaient ceux qu'on entend aujourd'hui.
User sa robe un an de plus
Ainsi, Catherine Nay, éditorialiste au Figaro magazine et à Valeurs actuelles nous expliquait comment remédier à la crise: « J'étais dans un dîner: chacun a restreint sa façon de consommer et on s'aperçoit qu'on vit très bien. On peut garder sa voiture deux ans de plus, user sa robe un an de plus. »
Depuis, madame Nay a écrit une biographie extasiée du nouveau président de la république. Et elle a sûrement renouvelé sa garde robe...
Serge Halili épinglait les refrains favoris de quelques journalistes:
la marotte de Franz Olivier Giesbert
« Franz-Olivier Giesbert, directeur de la rédaction du Figaro, interpelle M. Chirac: « Si la France en est là, n'est-ce pas à cause de ses rigidités et, notamment, de la barrière du salaire minimum qui bloque l'embauche des jeunes et des immigrés? » Philippe Manière, l'un des rédacteurs en chef du Point, répète la marotte de M. Giesbert et du patronat: une revalorisation du salaire minimum représenterait « un coup de pouce assassin ». D'ailleurs « l'inégalité des revenus, dans une certaine mesure, est facteur de l'enrichissement des plus pauvres et du progrès social ». Les athlètes nationaux obtiennent-ils de mauvais résultats aux Jeux olympiques d'hiver? Olivier Mazerolle, directeur de l'information de RTL, suggère une explication inattendue: « Les Français ne sont pas sportifs parce que nous avons l'habitude de l'Etat providence. »
Comment les persuader?
Recevant Dominique Strauss-Kahn, le présentateur du journal télévisé de TF1, Jean-Claude Narcy, le sermonne: « Réduire le temps de travail est une chose. Encore faut-il que les travailleurs acceptent de baisser leur salaire. Comment les en persuader? » Façonné malgré lui par le climat néolibéral ambiant, le téléspectateur jugea vraisemblablement qu'il s'agissait là d'une question de bon sens. Et puis, peut-être, il imagina: et si le journaliste avait choisi de formuler comme ceci la fin de sa demande: « Encore faut-il que les détenteurs de revenus du capital acceptent de rogner sur leurs rentes qui, toutes les études le démontrent, ont fortement progressé depuis quinze ans. Comment espérez-vous les en persuader? » Le temps d'un rêve, Dominique Strauss-Kahn eu été désarçonné, l'économie serait redevenue pluraliste, et TF1 aurait cessé d'être la chaîne de monsieur Bouygues. » (Les Nouveaux chiens de garde pages 46-47)
Ce qui nous frappe, en relisant ces lignes datant de 12 ans, c'est leur actualité. Rien n'a changé! Les mêmes discours. Certes, M. Giesbert et passé du Figaro au Point, Philippe Manière sévit maintenant à Marianne et Mazerolle à France Télévision. Mais le discours n'a pas changé d'un iota.
*en France c'est notamment TF1, RTL, Europe1, Le Monde, Le Figaro.
Commentaires
C'est un jeu de chaises musicales dans lequel la musique continue et c'est toujours la même ?
[Je lisais un article, je ne sais plus où qui expliquait que la crise pouvait aussi être vue comme une réaction des rentiers. Quand trop de monde a réussi à grimper sur l'arbre, régulièrement, on secoue le cocotier pour en faire tomber les "parasites". Ne restent à bord que les véritables rentiers…
Régulièrement, le ménage est fait parmi les possédants et ils peuvent ainsi rester entre eux…]
Eric,
Je me fais régulièrement la réflexion, à propos de ces journalistes parlant de la crise, qu'ils considèrent les revenus des salariés comme des lignes comptables, abstraites ...
Ils n'ont vraiment pas l'air concernés !