"Le Monde" (30 mai 2007) publie une double page titrée : « réussir la rupture », ou comment retrouver la croissance. Et dans la même édition un supplément de 8 pages est titré « Développement durable : la croissance en question ».
Entre croissance et décroissance, le cœur du "Monde" ne balance pas. Il choisit la croissance, même si ses ventes sont en baisse. Pourtant, un supplément de huit pages nous explique que la croissance ne fait pas tout. Notamment en ce qui concerne le chômage. Le PIB de la France a cru de 80% de 1978 à 2005, mais le chômage n’a pas baissé, au contraire il a doublé, passant de 5 à 10%. Et surtout, la croissance n'est pas écologiquement soutenable.
Dans ce supplément Hervé Kempf interroge des spécialistes.
Certains sont "formatés croissance". Ainsi, l’article sur Christian de Boissieu (président du conseil d’analyse économique) commence par : « Le monde a toujours besoin d’une croissance forte » qui semble irréfutable. Mais qui ne l’est pas. Il se poursuit par un « il est plus difficile de traiter le problème des inégalités avec moins de croissance ». C’est contestable, voire faux. Il se poursuit par « nous avons besoin de croissance pour lutter contre le chômage ». Or, comme nous l’avons vu, la croissance n’empêche pas le chômage.
Etre ou avoir
Kempf interroge aussi Patrick Viveret, conseiller à la Cours des comptes. Il est plus critique sur la dogme de la croissance. Pour lui, « quand on propose comme seul projet de vie une croissance de l’ordre de l’avoir et qu’on interdit un développement de l’ordre de l’être, on crée une crise spirituelle, une crise de civilisation. » Viveret de comparer la croissance à la toxicomanie. Et de proposer : « si on utilisait ne serait-ce que 10% des dépenses passives de mal être _ la publicité, l’armement, les stupéfiants _ vers des dépenses actives de mieux être, cela permettrait de traiter les grands problèmes du Sud et cela permettrait de changer aussi fondamentalement les modes de production, de consommation et de vie dans notre propre système de développement. » Comme quoi la Cours des comptes abrite des esprits libres, révolutionnaires et antipub ! Un discours qui fait du bien à entendre, à l’époque du « travailler plus pour gagner plus ». Le reportage de Gaëlle Dupont, auprès des « objecteurs de croissance » (ne les appelez pas décroissants) est aussi intéressant.
Le Boucher et le "vibrionnisme" sarkozien
Et donc, dans le même numéro, « Le Monde » publie une double page d’Eric Le Boucher.
Le thème : comment retrouver une croissance forte et réduire le chômage. Ca, c’est plus habituel.
L’économiste ultralibéral s’en donne à cœur joie. Certes, il n’approuve pas totalement les mesures de Nicolas Sarkozy pour relancer le pouvoir d’achat. Mais il devient lyrique (ou délirant ?) quand il traite du chômage : « Le premier défi, celui du plein emploi, est paradoxalement le plus facile à gagner. » Facile ? Oui, il suffit de « travailler plus » et « l’emploi créera l’emploi », explique Le Boucher. En revanche, il n’explique pas où se trouvent les gisements d’emploi. Ainsi, il écrit « Plus de 400 000 offres d'emploi ne trouveraient pas preneur dans la restauration ou le bâtiment, la libéralisation des heures supplémentaires va, pour l'entrepreneur, grossir ses prises de commandes et va, pour le salarié, améliorer sa feuille de paie, double effet bénéfique sur la croissance ». Mais il ne nous dit pas d’où il sort ce chiffre de 400 000. Peut-être parce qu’il sort des incantations du MEDEF et de la CGPME qui prennent leur désir pour des réalités ? Monsieur Le Boucher assure : « le vibrionnisme de M. Sarkozy vient à l'heure pour que les changements aillent vite ». (Pour ceux qui ne le sauraient pas, un vibrion est un microbe en forme de batonet incurvé comme une virgule, très mobile. Voir photo. De là à dire que Le Boucher traite Sarkozy de microbe...)
Certes, le vibrionnisme est très utile pour séduire les électeurs de plus de 65 ans. mais pour réduire le chômage, sera-ce suffisant ?
(photo: source)
Commentaires
Très bel article!
il semble que Mr Viveret ne soit pas "que"conseiller à la Cour des Comptes, mais philisophe et magistrat,un beau parcours!
http://carpediemcom.free.fr/viveret05.htm:pour en savoir plus sur ce monsieur et une présentation de son livre qui parle des émotions,de l'ambivalence,des peurs...bref,qui parle de l'humain!
merci de nous avoir permis de le découvrir,une bouffée d'oxygène dans ce "monde de brutes!"
Dans mon secteur professionel,en psychiatrie, où l'on traite évidemment de l'Etre,on voit bien au quotidien les dégats de l'Avoir sur l'individu...et comment il ne se sent rien ou pas grand-chose sans l'Avoir...et ce qu'il transmet de cette souffrance aux enfants...mais ça, ce n'est pas dans le discours politique!
http://carpediemcom.free.fr/viveret05.htm
Super bon papier Eric. Comme quoi, on peut réussir à dire des choses intéressantes en lisant Le Monde ! C'était pourtant pas gagné :)
Très bien. Chacun parle d'économie et comme celle-ci est loin d''être une science exacte, chacun y va de son affirmation, de son évidence, en s'appuyant sur sa notoriété pour faire valider son opinion. Plus que la question purement économique, ton interessant article Eric pose la question de la Démocratie. Les citoyens prennent des positions par leur vote à partir de débats où on leur propose tout et n'importe quoi et qu'ils ne sont pas à meme de juger. Bref, et c'est mon idée fixe depuis plusieurs années, le consommateur a tué le citoyen et en conséquence préfère un taux de chomage élévé qui lui permet de ne pas trop ouvrir son porte monnaie à des réformes qui lui couteraient beaucoup. Le consomateur va tuer a petit feu la Démocratie. Le plus pervers est que la fin de la Démocratie sera acceptée démocratiquement !
@Cat,
"les dégats de l'Avoir sur l'individu...et comment il ne se sent rien ou pas grand-chose sans l'Avoir..."
Pas d'accord! La politique c'est ça. Le projet de société, c'est de se libérer de l'avoir... ou de s'enfermer dans l'avoir (gagner plus pour travailler plus).
Le lien vers Carpediem est vraiment très intéressant. j'ai découvert Patrick Viveret et j'aime vraiment beaucoup ce qu'il a écrit, il donne des pistes encourageantes, humaines, pour l'avenir
à l'inverse, Sarkozy a déclaré : "l'Etat est trop endetté et les ménages pas assez. il faut tordre le coup à cette idée : s'endetter, pour un ménage, ce n'est pas mal, c'est une confiance dans l'avenir."
http://desourcesure.com/public/politique+affaires/2007/05/le_president_sarkozy_a_dit_let.php
affligeant de connerie et de cynisme
quand on sait les dégâts du surendettement sur les ménages, c'est pousser les gens à sur consommer, à dépenser de l'argent qu'ils n'ont pas, pour acheter bien souvent des trucs dont ils n'ont pas besoin, en leur faisant croire qu'ils sont indispensables.
de la part d'un président cette déclaration est d'une irresponsabilité totale
le citoyen consommateur: une machine à acheter,inculte et obéissante, docile, soumise.
alors bien sûr on attaque tout de suite l'école, histoire de s'assurer qu'il en sortira des crétins formatés et faciles à manipuler.
Résister, merci Patrick Vivaret
@Didier,
"Bref, et c'est mon idée fixe depuis plusieurs années, le consommateur a tué le citoyen et en conséquence préfère un taux de chomage élévé qui lui permet de ne pas trop ouvrir son porte monnaie à des réformes qui lui couteraient beaucoup. Le consomateur va tuer a petit feu la Démocratie."
Chômage élevé: je répond nairu. (voir dans ma blogroll: un blog intéressant, à lire sans dogmatisme).
Mais ta conclusion me pose problème. "La fin de la démocratie sera acceptée démocratiquement": ça n'est pas logique, c'est paradoxal...
Les économisqtes ultra libéraux pensent que l'économie s'autorégule, à peu près "naturellement".
La démocratie elle aussi s'auto améliore. Elle tire partie de ses erreurs. En principe ça marche!
@Céleste,
"l'Etat est trop endetté et les ménages pas assez. il faut tordre le coup à cette idée : s'endetter, pour un ménage, ce n'est pas mal, c'est une confiance dans l'avenir."
oui, je pensais à cette citation en écrivant ce billet. Des économistes ont critiqué cette tentative de booster l'économie en relançant la consommation.
voir notamment cet article des Echos, cité par Nicolas: http://jegpol.blogspot.com/2007/05/ridicule.html
Cette idée "d'emploi qui nourrit l'emploi" me semble complètement erronnée. C'est une sorte de "y'a qu'à faut qu'on" : suffit de travailler plus, ma bonne dame. Comme si le travail apparaissait ex nihilo, comme s'il suffisait de le décréter. La vision libérale du travail est une ontologie très particulière...
@MC,
D'accord avec toi. J'ai des doutes.
Jospin a péri par le dogme du partage du travail.
Ce qui "menace" Sarkozy (outre sa folie propre) c'est le dogme du "travailler plus"...
Dogmatisme contre dogmatisme.
Eric,
qui prétend se libérer de l'avoir dans son projet politique?
dans nos contrées, je n'ai jamais entendu parler de ça!
un peu plus,un peu moins,d'accord...
tant que la societé considerera la valeur de l'individu en fonction de ce qu'il possède...la "richesse intèrieure" n'intéresse que les doux utopistes comme nous!
Très bon article, ça donne envie d'acheter Le Monde et faire croître ses ventes, par la même occasion !
Je connais des mecs au chômage qui ne veulent pas bosser dans la restauration à cause des salaires trop bas pour un nombre d'heures trop élevé. Sans parler de l'ambiance générale…
Je ne vois pas en quoi permettre encore plus d'heure va y changer quoi que ce soit ! :-)
J'aime beaucoup le discours qui consiste à classer les investissements en terme de bien-être ou mal être. Ça donne un certain éclairage, une certaine vérité à notre société actuelle…
:-)
Cat : la volonté de posséder moins doit, me semble-t-il, venir d'une démarche sociétale. A chacun de se l'appliquer, de la rendre réelle et elle sera reprise par les partis politiques.
Tu sembles oublier que les partis sont des associations de citoyens défendant des idées. A nous donc, d'aller à l'intéreiru des partis politiques, des associations, des syndicats pour faire monter ces idées essentielles !
:-)
Oui, tu as raison,Fil,... ça reste difficile car c'est aussi bien ancré dans nos pratiques...consommer pour compenser?
@Cat,
"qui prétend se libérer de l'avoir dans son projet politique?
dans nos contrées, je n'ai jamais entendu parler de ça!
un peu plus,un peu moins,d'accord..."
C'est vrai, ça reste marginal. Bové a pu faire entendre ça, quand il ne raconte pas des conneries.
Même Bayrou a dit des choses allant dans ce sens:
http://www.udf.org/discours/bayrou_220406.html
Mais il a dévié après...
Dans le Figaro aussi, ils disent des bêtises :
http://www.lefigaro.fr/economie/20070530.FIG000000076_blanchir_les_heures_supplementaires_au_noir.html
"mais pour réduire le chômage, sera-ce suffisant ?"
Non, l'AFP explique ce soir qu'il faut arrêter de chiffrer le nombre de chômeurs... C'est ainsi que NS arrivera à réduire le chômage. Il s'agit de réduire la périodicité de diffusion...
http://actu.voila.fr/Article/mmd--francais--journal_internet--eco/France-la-publication-mensuelle-des-chiffres-du-chomage-contestee.html
@Nicolas,
Ce serait bien, déjà, de PAYER les heures supplémentaires que les gens font sans qu'on les leur paye!
Oui, Sarkozy va faire comme Blair: il va trouver une astuce pour faire baisser les chiffres du chômage.
Je me répète: où sont les gisements d'emploi?
@Nicolas,
Filaplomb te chambre dans la boîte de discussion (colonne de gauche)....
@ Eric
Pas d'accord pour dire que la phrase "la fin de la démocratie sera approuvée démocratiquement" est un pur paradoxe. Ce serait oublier un peu vite qu'Adolf Hitler est arrivé au pouvoir par voie démocratique... La démocratie est à la fois un outil et une fin en soi, qui ne s'auto-régule que dans l'idéal, c'est-à-dire quand toutes les institutions qui font d'elle ce qu'elle est vont bien (vu le titre de ton blog, on peut douter que tu considères que tout aille parfaitement bien), et qu'une large majorité de citoyens ont accès à une culture et une information les plus vastes possibles.
Est-ce vraiment le cas aujourd'hui ? Le fait d'être littéralement submergé par un flot continu d'informations ne se rapproche-t-il pas au final d'une désinformation pure et simple ? Une démocratie qui ne juge pas primordial d'enseigner la citoyenneté et de développer le sens critique des élèves de l'Ecole Républicaine ne court-elle pas vers sa propre fin ?
Pour ce qui est de la relation entre croissance et taux de chômage, l'OMC planche sur la question depuis des années, sans avoir encore à ce jour réussi à établir un lien indubitable entre les deux. Certains pontes de l'économie commenceraient même à se demander très sérieusement si par hasard, ils ne se seraient pas plantés en croyant que ce lien existait...
Bises à tous.
@Flo Py,
J'ai sans doute répondu un peu vite à Didier, parce qu'il me semblait aller un peuloin. "Monsieur Hitler" (comme l'appelle notre président) a été élu.
Mais la comparaison s'arrête là!
Nicolas Sarkozy a d'énormes pouvoir, ce sont ceux qui lui sont conférés par la 5eme république. Les français ont voté pour le maintien de cette république et contre Ségolène Royal qui proposait une 6ème république.
La vigilance est nécessaire, la paranoïa, non.
http://jegpol.blogspot.com/2007/05/blogueur-influent.html
Je ne fais pas de la pub pour mon blog, je fais juste un grandiose plaisir à l'aimable assistance de ce blog en diffusant une vidéo du célèbre Eric de CDLM. Quand il met sa main devant sa bouche, c'est juste pour amortir le "burp".
@ Eric
J'ai cité Hitler, mais j'ai oublié de citer Chavez (pour éviter qu'on y voit un point de vue partisan ou parano, justement ;-)).
Ce que je voulais dire par là, c'est que la démocratie porte en elle-même la possibilité de sa destruction.
Que la notion de vigilance dépend beaucoup des personnes.
Que l'information sans la culture pour l'analyser, ça ne sert pas à grand chose.
Le fait que les pouvoirs concentrés dans les mains de NS lui soient conférés par la constitution de la 5ème République ne doit pas nous rassurer. La démocratie n'est que le moins mauvais système qu'on ait pu trouver jusqu'ici, et elle est perfectible.
Et pour ce qui est des Français qui auraient voté "contre" Royal et sa proposition (plus que floue, entre nous) de VIème république... Ben, je ne vais me la jouer NSPP : je ne suis pas convaincue que ce soit aussi simple.
Bises.
@Flo Py,
Je ne dis pas que les gens avaient l'intention de voter contre une 6eme république. Mais ils l'ont fait: c'est un fait.