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Métro, le monde et l'arbitraire

medium_metro.JPGJ’ouvre une édition de Métro, journal gratuit. Page 7, informations « Monde » (voir photo).

Présentation classique pour ce journal. En haut de page, un article de taille moyenne avec photo: Les otages anglais retenus en Iran.

A côté de ça, des brèves. Le lecteur peut picorer des infos. C’est factuel. Ca va vite.

 

Mal info

Métro s'adapte à ses lecteurs. Ils cherchent à se tenir informer, mais sans approfondir.

Picorer des infos: c'est un des symptômes de la mal info, décrite dans cet article du Monde (page 2 du document). La mal info se caractérise notamment par une consommation d'info plusieurs fois dans la journée, par petites prises.

 

medium_metro.2.JPGCela donne l'impression de survoler l'information. La page est un mini tour du monde. USA, Chine, Pologne, Zimbawe: le lecteur en a pour son argent, vu que le journal est gratuit.

L'argent, justement. Pour faire tenir la sauce, un quart de page de pub, rappelle que tout cela, au fond, n’est que marchandise.

 

L'arbitraire du monde

La leçon de tout cela, c’est que le monde est absurde et que tout peut arriver. Les médias nous inculquent, au plus profond de nous, la notion d’arbitraire.

« Dans la suite linéaire des grands et petits événements importants et insignifiants, fous et sérieux, disparaît le « particulier » et le « vrai réel ». Si celui qui doit vivre en permanence dans ces fausses équivalences, perd, dans une lumière crépusculaire, la capacité de reconnaître les choses dans leur individualité et leur essentialité ; à travers chacune d’elles, il ne voit que la couleur fondamentale, le gris, le souci, l’absurdité. » (Peter Sloterdijk, Critique de la raison cynique, p. 620).

Commentaires

  • Depuis 5 000 ans ! Quoi de neuf ?
    http://www.echofrance116.blogspot.com/

    Ces virus imaginaires qui nous manipulent.
    http://www.echofrance117.blogspot.com/

    echofrance@hotmail.fr

  • Moi, je dis, quand on fait une citation de la page 620 d'un bouquin, faut d'abord prouver qu'on a lu les 619 d'avant. Sinon ça compte pas, c'est triché.
    Voilà.

  • Ces prospectus informatifs sont là pour détourner chacun de sa propre pensée.
    Etre au présent est l'acte citoyen de base, penser le présent c'est ETRE.
    On détourne ces pensées par "l'injection" d'un flot de riens qu'on présente comme des "ce qu'il faut savoir", comme des choses importantes, bien plus importante que tout le reste.

    Le journalisme consistait (je mets au passé, hein !) à éclairer les faits, à les mettre en perspective et c'est bien en remplaçant la pratique journalistique par une cascade de nouvelles qu'on détourne la pensée citoyenne…

    Enfin, je crois !

    Je suis souvent frappé par le vide sidéral de ces prospectus…

  • @Filaplomb,

    "Prospectus" est le terme exact, en effet.
    Le terme technique c'est "support". Support publicitaire, l'information n'étant qu'un alibi.

    "Etre au présent est l'acte citoyen de base, penser le présent c'est ETRE."

    AUUM!!!!

    Oui, c'est très vrai. Ici et maintenant. C'est vrai pour tout le monde.

  • à consulter:
    le site de l'observatoire du débat public

    http://www.oddp.org/

    voir le blog de Denis Muzet, de l'ODDP:

    http://blogs.lesechos.fr/rubrique.php?id_rubrique=29

  • Eric, sur un des blogs de Nicolas, il parlait déjà de cette manière dont on nous glisse presque de force ces torchons dans la main.
    C'est incroyable qu'on compare la diffusion de ces prospectus avec l'acte d'achat des lecteurs des "vrais" journaux.
    Comme si on disait que Carrefour (ou autres) diffusait plus d'exemplaires que le Monde !
    Et la qualitatif, bordel !!!
    Par exemple, le sens de l'information, ce que cela signifie, au hasard, d'avoir des emeutes dans la Gare du Nord, voilà le journalisme. A l'inverse nous donner des photos avec des chiffres (300 flics ?), ca ne donne aucun sens…
    Donc, disais-je : penser le présent est un acte citoyen !

  • Je vais me permettre de défendre les gratuits ! Je lis tous les matins 20 minutes (les pages Parisiennes sont bien plus intéressantes que celles du Parisien qui porte assez mal son nom sur le sujet). Ca correspond à ce que je cherche : faire un tour de l'actualité en allant au boulot le matin. Un peu comme quand on consulte internet le midi avant d'aller bouffer. On charges news.google.com ou fr.news.yahoo.com ou actu.voila.fr et un tas de trucs s'affichent à l'écran... Ou comme quand on écoute un journal radio (ou télé !) de dix minutes.

    Ca ne m'empêche pas de consulter un journal plus sérieux de temps en temps !

  • pour payer mon loyer je distribue ces satanés journaux gratuits:
    et j en vois de belles ts les jours:
    entre les contradictions et les erreurs, les oublis volontaires ou les partis pris!

  • @Roi,

    Expérience intéressante!
    Oui, les gratuits ne sont pas "neutres" comme on nous le dit souvent.

    @Nicolas,

    20 Minutes c'est plutôt bien fait.
    Mais on avait eu un petit débat sur un article pro libéral, sous des dehors de neutralité.
    Je te fais de la pub, c'était là:
    http://jegpol.blogspot.com/2006/07/20-minutes-dattention-sil-vous-plait.html

  • @Fil,

    Noam Chomsky (rien que ça!) disait qu'on est dans un régime d'info à deux vitesses. L'info pour les riches et l'info pour les pauvres.
    The Economist, le Wall street journal, le Financial Times sont des journaux de très haute qualité, destinés à des populations très éduquées (et un peu portées sur les questions financières). Les articles sont longs, très fouillés.
    En France, Le Monde et Les Echos suivent un peu cette pente là (quoique...)

    Et puis il y a l'"information" des journaux télévisés, les flashs radio, les supports gratuits.
    Bien sûr, certains gratuits sont meilleurs que d'autres, mais ils informent très peu.
    Et ils vous refilent en douce une idéologie clairement libérale....

  • Eric,

    Quelle mémoire !

  • Eric, voilà. C'est ça qu'est ce que je disais ! Metro, c'est un truc facile à lire, comme un flash info de la radio…

    Nicolas : je suis d'accord avec toi, c'est pratique les gratuits. Mais j'aimerais qu'on ne les classe pas comme "journal" !
    Je dis "prospectus informatifs" ! :-)

  • Fil,

    Les gratuits ne sont pas pratiques que parce qu’ils sont gratuits. Ils sont pratiques parce que des types nous les donnent en rentrant dans le métro et qu’on n’a pas besoin de faire un détour par le kiosque pour avoir le canard.

    Surtout, il y a peut-être une frontière à placer entre prospectus et journaux. Du fait que j’ai un pied en Bretagne et l’autre à Paris (je plains les Sarthois !), je lis souvent Le Parisien (au bistro le matin et le soir), Le Télégramme de Brest (le matin à l’hôtel à Brest) et parfois Ouest France, et la presse nationale (dans l’avion).

    Le Télégramme et Ouest France sont en majeure partie composés de pages locales, de même d’ailleurs que le Parisien. Ce dernier est très complet pour les courses et le sport. Le Parisien a tous les jours une double page avec le « sujet du jour » (Le Télégramme a un truc pareil en page 3).

    Enlevons maintenant les pages Courses, Sport, Local et « sujet du jour ». Ajoutons les pages « diverses » (people, culture, new tech, …). Supprimons tous les trucs qui m’énervent dans les journaux (le Parisien est un spécialiste du « micro-trottoir », des longues « analyses » des faits divers sanglants et de l'audimat de l'avant veille).

    On se retrouve avec plus d’information dans 20 minutes que dans le Télégramme (ce qui n’est pas une critique du Télégramme comparé à d’autres représentants de la PQR) et à peu près similaire au Parisien.

    Où est la frontière entre prospectus et journal ?

    Eric soulignait plus haut la bonne qualité des Echos. Je suis d’accord (je les lis toutes les semaines dans l’avion). Mais peut-on limiter l’appellation de « Journal » aux deux millions et demi de machins de la Presse Nationale (dont 1 million, au moins, pour l’équipe, 300 000 pour le Monde et quelques centaines de milliers pour les Echos, le Figaro, Libération) ?

  • M... ! J'ai fait un commentaire trop long.

  • @Nicolas,

    Oui, blague à part, on peut dire que les journaux gratuits sont des journaux. "Prospectus" ça n'est pas très noble.
    Mais franchement il faut être honnête. Un "article" de 10 lignes dans 20 mn ne peut pas valoir un article d'une demi page dans Le Monde. Les journaux gratuits maltraitent l'information et méprisent leurs lecteurs.

    D'autant qu'ils ne sont pas gratuits pour tout le monde.

  • Eric,

    Faut-il opposer Le Monde aux gratuits ? Pour ma part, j'oppose juste 20 Minutes au Parisien (2 millions de lecteurs ?) et au Télégramme sur la qualité des informations générales non locales !

    10 lignes dans vingt minutes sont opposables à un quart de page dans le Parisien...

  • @Nicolas,

    Tu as sans doute raison. Entre 0€ et 0,9€ il y a une différence, un acte d'achat à effectuer.

    Entre une dépêche bien réécrite (20 mn) et un micro trotoir sans génie (Parisien), on peut préférer la première.

    Et il y a une différence entre les gratuits. 20 mn c'est mieux que Métro ou Direct soir.

  • Eric,

    Connais-tu Matin Plus ? Ils le filent au métro à Bicêtre. Ca fait un mois ou deux que ça existe. Je l'ai lu deux ou trois fois : c'est pas mal. Ils reprennent des depèches diverses et de articles du Monde. Un bon compromis ?

  • @Nicolas,

    Oui, sauf que Matin Plus a 18 à 20 heures de retard sur Le Monde. C'est de l'info réchauffée.

  • ceci dit, le Monde se met aussi à cette info à piocher, juste le titre, à peine développé, dans son site en ligne
    on reste sur sa faim
    c'est pq il convient de payer pour pouvoir creuser, un peu, mais souvent c'est frustrant aussi

    mais ne pas oublier que la majorité des gens qui lisent des gratuits n'achetaient le journal naguère : cela coute un fric dingue de s'informer de façon plurielle ! il faut en avoir les moyens ou aller dans le bibliothèques , dans leur kiosque

    "en avoir pour son argent" comme tu dis, de toute façon c'est faux puisque c'est un choix arbitraire effectivement, je n'en ai jamais pour mon argent et je suis tjs assez déçue

    acheter le Monde ts les jours ou Libé ou courrier international, ou Politis ttes les semaines, moi je peux pas, pas les moyens !

  • @Anne,

    On en arrive au problème du coût des journaux. 1,20€ pour Le Monde, ça me paraît incroyablement élevé, surtout si l'on sait que le contenu est en accès libre sur Internet.
    Pardon, Le Monde c'est 1,30€... Là, c'est trop cher.

    J'ai trouvé une discussion où il est dit que, par rapport au pouvoir d'achat de l'époque, le journal coûte deux fois plus cher qu'en 1900:

    http://209.85.129.104/search?q=cache:Lahxa9yVgnYJ:fr.wikipedia.org/wiki/Discussion_Utilisateur:Mhon+pouvoir+d%27achat+%22prix+du+journal%22&hl=fr&ct=clnk&cd=7&gl=fr&lr=lang_fr

  • concernant la presse gratuite:

    http://209.85.129.104/search?q=cache:KJwD7_usTDwJ:www.finances.gouv.fr/dgccrf/02_actualite/ateliers_conso/atelier31e.htm+pouvoir+d%27achat+%22prix+du+journal%22&hl=fr&ct=clnk&cd=14&gl=fr&lr=lang_fr

    Jean-Clément TEXIER
    Président, MaP SA, Directeur associé, BNP Paribas Corporate Finance

    Le concept de presse gratuite est en train de bouleverser le média le plus ancien. La gratuité est l'électrochoc de ce début de siècle. Le milieu des éditeurs, dont je suis issu, a réagi suivant un corporatisme frileux à ce qui est perçu comme une concurrence déferlante. Jean-François Bizot, animateur de Radio Nova et de Nova Magazine a annoncé vouloir suspendre la publication de ce dernier par crainte de la gratuité, dans un éditorial. La télévision est gratuite, Internet est gratuit, la presse est gratuite : il n'existerait plus de place pour un titre payant comme Nova Magazine. Permettez-moi de relativiser considérablement ces propos.

    I. La presse gratuite en révélateur

    La gratuité joue le rôle du bouc émissaire en évitant aux éditeurs de faire leur propre autocritique. Le débat s'est avéré plus sensible en France, mais il ne porte pas en dernière instance sur la gratuité. Les autres pays européens se sont dispensés de tels psychodrames. La France a été contrainte, par le truchement de l'apparition de journaux gratuits, d'examiner des mécanismes archaïques. Ces derniers expliquent largement des coûts d'impression trop élevés. Les éditeurs de presse gratuite sont sortis des normes et des structures peu efficaces privilégiant le suremploi. Ils ont brisé certains carcans.

    Les journaux souffrent de la lourdeur de leurs équipes. Il est certes louable d'employer de nombreux journalistes. Encore faut-il avoir les moyens de les rémunérer. Il n'empêche que des titres comme Metro et 20 Minutes sont pilotés par des professionnels incontestables. Ces personnes ont fait leurs classes dans le quotidien le plus intellectuel qui soit, Libération. Ce ne sont pas des journalistes "au rabais" qui ont été recrutés pour relever le défi de réaliser un journal avec 20 ou 30 personnes, contre 200 à 300 pour les quotidiens régionaux.

    II. L'irruption d'une économie de bas coûts (low cost) dans le média le plus ancien

    C'est tout un changement de modèle économique qui est ainsi en question. Confrontée à ces mutations, la presse fait face à l'économie du low cost. Quasiment aucun secteur n'a été épargné. La presse, héritière du XIXème siècle, est restée porteuse de conceptions plus proches du schéma de l'industrie lourde que de celui des services du XXème siècle. Une remise en cause majeure était programmée.

    J'ai encore l'impression que le sens de la mesure a été perdu. En France, la presse est un petit secteur économique qui, naturellement, fait beaucoup de bruit. Le chiffre d'affaires de la presse éditeur ne représente que 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Les feuilles gratuites représentent le dixième de ce total, soit un milliard d'euros. Une grande partie de l'activité de la presse gratuite ne relève pas de la presse éditoriale. Avant la dernière génération de quotidiens offerts, il existait A nous Paris et d'autres feuilles. La nouveauté était bien l'irruption du gratuit dans le domaine du rédactionnel et de l'éditorial.

    III. Un phénomène qui mérite d'être relativisé

    Pour des raisons de partage des métiers, lié aux conditions de production et de distribution, les éditeurs avaient accepté l'absence d'éditorial dans les journaux d'annonces offerts. Le lecteur n'y trouvait que quelques programmes de télévision. Il n'en reste pas moins que le tirage des feuilles gratuites est très important en France depuis les années 70. Alors même que les litanies contre les nouveaux quotidiens se sont multipliées, les plus grands acteurs étaient engagés dans le gratuit : Spir, Ouest France, France Antilles, Hersant, Sud-Ouest. Ils réalisaient même depuis longtemps leurs bénéfices dans le champ du gratuit, tandis qu'ils remplissaient leur devoir démocratique dans la presse écrite éditoriale. Un quotidien bien géré comme Ouest France ne parvient qu'à une rentabilité de 5 à 6%.

    Si l'on considère la somme que représentent 20 Minutes, Metro et A nous Paris, on ne parvient pas à une soixantaine de millions d'euros. Exagérer l'ampleur du phénomène revient à faire beaucoup de bruit pour rien. Certes, le gratuit a réintégré l'éditorial. Ce n'était une révolution qu'en France. En Belgique, en Suisse et en Grande-Bretagne, il est très ardu de déterminer si certains titres sont payants ou gratuits tant la recherche de la pénétration maximale a constitué l'objectif premier. Selon les cas de figure, un titre était payant ou gratuit suivant le seul mode de commercialisation recherché.

    Faut-il mettre en corrélation gratuité et pauvreté ? Ce serait pousser le paradoxe jusqu'à son comble. Par essence, le gratuit ne s'attache par aux pauvres mais aux riches. Il ne s'agit même pas au fond de "gratuits" mais de "tiers payants". Le consommateur visé n'a pas à délier sa bourse. L'acteur attend de l'offre qu'il soutient un retour sur investissement. J'ai entendu des responsables de 20 Minutes confier avoir retiré leur distribution de certains quartiers, faute d'un pouvoir d'achat suffisamment élevé.

    La presse gratuite renvoie à ce qui était désigné sous le vocable de "qualified circulation". Cette diffusion qualifiée doit trouver la juste cible, sensible aux annonces. Toutefois, un lecteur n'a pas essentiellement recours à un journal pour en lire les annonces publicitaires. Le gratuit n'est rien d'autre qu'une technique destinée à améliorer la pénétration d'une presse qui ne parvenait plus à rester concurrentielle en matière de tarification et de diffusion. Les canaux de la radio et de la télévision, de réception gratuite, étaient plus performants.

    Alors même que les offres gratuites se développent, les services Internet des grands titres de presse sont en passe de devenir payants, tout comme les bouquets thématiques de télévision par satellite. La gratuité, pour la presse comme pour l'audiovisuel, demeure sans doute un des moments des cycles de commercialisation. A un stade donné, le marché attend de la gratuité.

    A titre personnel, je ne me pose pas la question de la gratuité ou du caractère payant mais celle du rapport. J'ai eu l'honneur d'être associé voici près de vingt ans à l'essor des journaux gratuits régionaux et non-éditoriaux. Une étude de marché a présidé à ce lancement. En effet, les quotidiens régionaux n'avaient plus la pénétration voulue et n'étaient plus assez compétitifs par rapport au marketing direct et à l'affichage. Il a fallu recouvrer une force de pénétration satisfaisante. Comment procéder ? D'une manière évidente : par la gratuité. Ceci a nécessité notamment de qualifier des zones. La presse gratuite n'était qu'un moyen de segmenter les marchés et de renouveler l'offre. Je ne constate aucune nouveauté en présence d'un tel phénomène.

    IV. Une réussite dans la presse : un événement suffisamment rare pour être souligné

    Les feuilles gratuites sont apparues en Suisse à la fin du XIXème siècle, afin de promouvoir un certain nombre de produits. Les nouveaux quotidiens offerts ont certainement bouleversé le marché. Ils ont donné, en France, à la gratuité éditoriale ses lettres de noblesse. Les éditeurs français ont voulu bouder la presse gratuite, à une exception près. Si 20 Minutes, issu d'un grand groupe norvégien, a pu s'implanter en France, c'est avec le concours du groupe Ouest France. L'animateur de ce quotidien récent a déjà lancé des gratuits, et notamment Le Carillon. Il a sans doute réalisé la meilleure affaire de sa vie. La société éditrice est cotée aux alentours de 900 millions d'euros. Le groupe Ouest France en contrôle les deux tiers.

    Serge July a affirmé que l'ère des gratuits sonnait le glas de Libération. Heureusement, les Rothschild sont là, comme ils l'ont été du reste pour L'Humanité de Jaurès. Le premier quotidien actuel a du mal à tenir le cap des 800 000 exemplaires. Dans un avenir proche, il sera supplanté par 20 Minutes, qui entend atteindre prochainement 750 000 exemplaires. Aux 400 000 journaux distribués à Paris, il convient d'ajouter les déclinaisons de 20 Minutes à Lyon, Bordeaux, Marseille, Toulouse. Mathématiquement, 20 Minutes est en train de devancer Ouest France. Ce titre peut espérer atteindre 850 000 ou 900 000 exemplaires.

    François-Régis Hutin détient à la fois Ouest France et 20 Minutes. Alors qu'il est resté cantonné aux départements de l'Ouest de la France, il a pu se doter d'un journal de taille nationale pour un investissement inférieur à 50 millions d'euros. A l'année 4 ou à l'année 5, celui-ci aura pleinement atteint le seuil de rentabilité. La presse gratuite est-elle donc si négative ? Quel lancement d'un grand quotidien a été récemment couronné de succès ? Le dernier en date est celui de Libération qui, avec 150 000 exemplaires, ne gagne pas autant d'argent que 20 Minutes. Toutes les autres créations ont avorté au bout de quelques semaines ou de quelques mois.

    V. La perception des gratuits dans la profession éditoriale et au-delà

    La gratuité s'est révélée porteuse. Trois nouveaux quotidiens en sont issus. Je relève deux manières d'appréhender ce succès.

    La première est celle du refus, celle là même des éditeurs parisiens qui, au départ, ont perçu dans la presse gratuite un danger et une concurrence déloyale.

    Je note en revanche l'attitude pragmatique des Belges et des Britanniques. Naguère, la profession était mal en point. La presse quotidienne perdait sans cesse des parts du marché publicitaire au profit de la télévision, de la radio et des magazines. Les Anglais et les Belges ont résolu de ne pas désespérer. La presse quotidienne est revenue, grâce notamment à un groupe qui a lancé Modern Time, qui est encore à l'origine de Télé 9 et d'autres activités dans Internet et dans les télécommunications. Précisément, il a pu innover dans la presse parce qu'il n'était pas culturellement du même milieu et parce qu'il baignait dans les nouvelles technologies.

    L'avènement de la presse gratuite, vécu en France comme un tremblement de terre, était en réalité annoncé. Il a concerné Stockholm en 1995, Budapest en 1998, Helsinki en 1999. La lame de fond va se propager dans les années à venir à Milan, à Zurich, à Bâle. Toutes ces villes sont proches. Il était possible à tous d'observer et de prévoir pour, le cas échéant, réagir. Outre-Rhin, les managers des grands quotidiens ont cassé les prix pour faire échouer les feuilles gratuites. Ils y sont parvenus.

    En France, les acteurs sont restés dans l'expectative puis se sont affolés, alors même que les nouveaux arrivants leur tendaient la main. Metro a longuement cherché des partenariats avec des éditeurs de la presse classique. On a refusé de les voir : ils étaient comme pestiférés. Nul n'a voulu serrer la main du diable. Le groupe TF1 est finalement arrivé pour entrer dans un partenariat à hauteur de 35%. Patrick Le Lay a compris que la presse gratuite créait de nouveaux marchés. Il a vu une certaine cohérence entre les quotidiens gratuits, les télévisions locales et les autres médias.

    VI. Un renouvellement de l'offre de presse quotidienne

    En définitive, la gratuité est une forme de modernité. Ce qui m'intéresse est moins le caractère gratuit ou payant que la capacité à renouveler le genre du quotidien de presse. Ces journaux ne tachent pas les mains. Ils sont ouverts aux souhaits des annonceurs. Leur maquette est agréable et conçue pour faciliter la lecture rapide. Ils sont porteurs d'une réflexion en matière rédactionnelle. Avec une trentaine de personnes, pour prétendre à la qualité, il est impératif de procéder à l'externalisation des activités (outsourcing). A mon sens, tous ces changements sont positifs. Je défends les gratuits, car ils témoignent du fait que la presse quotidienne est encore bien vivante.

    Pour conclure, le débat qui a été conduit me paraît d'autant plus fou que la presse est par essence un produit ambigu à l'extrême : depuis le XIXème siècle et l'introduction de la publicité. Cette dernière est évidement essentielle et la presse est de ce fait un produit joint.

    A l'exception du Canard Enchaîné et de revues confidentielles, nous ne payons pas le vrai prix du journal. Les "payants" sont des "gratuits" qui s'ignorent au moins partiellement. Si je voulais être acerbe, je citerais les noms des grands quotidiens mis gracieusement à la disposition des compagnies aériennes ou des grands hôtels. Ce sont des titres respectables, dits payants.

    En définitive, les éditeurs ont compris qu'il leur fallait innover, trouver un marketing de l'offre adéquat pour augmenter la pénétration de leurs journaux. La presse gratuite manifeste un renouvellement de la presse éditoriale, capable de faire revenir à l'écrit des consommateurs qui s'en étaient détournés. Plus de la moitié des lecteurs de gratuits ne prêtaient aucune attention ni à la presse quotidienne, ni aux magazines. Ce retour à l'écrit me semble être un signe extrêmement réconfortant.

  • Oui

  • Eric, c'est bien joli tout ça (j'ai lu les trois premiers quarts) mais ça ne parle pas trop de la qualité de l'information.
    Pénétration et segmentation du marché publicitaire, ça ne nous fait pas un bon journal !
    [Voir le Canard et Charlie pour des succès sans pub et Le Diplo pour de la pub culturelle uniquement (mais un peu moins de succès)].

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