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public relation

  • Comment les femmes se sont mises à fumer

    Le neveu de Freud, Edward Bernays, est peut-être l'homme le plus important du XXè siècle. Il a inventé un moyen de transformer les gens en consommateurs, de les faire désirer ce dont ils n'ont pas besoin. C'est l'inventeur des "public relations", qui en se perfectionnant sont devenues la pub.

    C'est ce qu'explique cet extrait d'un texte issu de la revue Ecorev:

    ... cette nouvelle espèce d’acheteurs qui "n’ont pas besoin de ce qu’ils désirent et ne désirent pas ce dont ils ont besoin". C’est là la définition du consommateur telle que l’a conçue, mieux : inventée, un neveu de Freud, Edward Bernays, au début des années 1920.

    Bernays s’était installé aux États-Unis à un moment où les industriels se demandaient par quels moyens ils pourraient trouver des débouchés civils pour les énormes capacités de production dont l’industrie s’était dotée pendant la première guerre mondiale. Comment trouver des acheteurs pour tout ce que l’industrie était capable de produire ? Barnays tenait la réponse. Il avait mis au point une nouvelle discipline, les "relations avec le public" (public relations). Dans des articles, puis dans des livres, il se mit à expliquer que si les besoins des gens étaient limités par nature, leurs désirs étaient par essence illimités. Pour les faire croître, il suffisait de se débarrasser de l’idée, fausse, que les achats des individus répondent à des besoins pratiques et à des considérations rationnelles. C’est aux ressorts inconscients, aux motivations irrationnelles, aux fantasmes et aux désirs inavoués des gens qu’il fallait faire appel. Au lieu de s’adresser, comme elle l’avait fait jusque-là, au sens pratique des acheteurs, la publicité devait contenir un message qui transforme les produits, même les plus triviaux, en vecteurs d’un sens symbolique. Il fallait en appeler aux "émotions irrationnelles", créer une culture de la consommation, produire le consommateur type qui cherche, et trouve, dans la consommation, un moyen d’exprimer son innermost self (son "moi le plus intime") ou, comme l’affirmait une publicité des années 1920, "ce que vous avez d’unique et de plus précieux mais qui reste caché".

    57ac687bb7830dedebb41d074242db1e.jpgQuand l’industrie du tabac approcha Barnays en lui demandant s’il voyait un moyen pour amener les femmes à fumer, Barnays releva sans hésiter le défi. La cigarette, expliqua-t-il, était un symbole phallique et les femmes se mettraient à fumer si elles voyaient dans la cigarette un moyen de s’émanciper symboliquement de la domination masculine. La presse fut prévenue qu’à l’occasion du grand défilé, à New York, de la fête nationale, un événement sensationnel allait se produire. Effectivement, au signal convenu, de jeunes élégantes, au nombre d’une vingtaine, tirèrent cigarettes et briquets de leur sac à main et allumèrent leurs symboliques freedom torches ("torches de la liberté"). La cigarette était devenue le symbole de l’émancipation féminine. Barnays ­- et l’industrie du tabac - avaient gagné.

    Ce texte est consacré au philosophe andré Gorz, décédé il y a quelques jours. Le livre majeur d'Edward Bernays, Propaganda, vient de ressortir en français. On peut le lire gratuitement en ligne.